
Chant 2 Marine et l’odeur du Tiep Bou Dièn
Grain 2 La vérité est au fond du trou normand ou du verre de Whisky
C’est l’habitude de vivre sans toi qui fut la plus longue à trouver, la plus longue à vivre et à mourir. Souvent, comme aujourd’hui, je t’ai parlé et plus encore parlé à ton absence. Au milieu de mes bouquins cornés, regardant mon café fumer, je t’ai parlé, souvent, trop. Il m’a fallu longtemps pour ne plus attendre de réponse de ta part. Il m’a fallu plus longtemps encore pour comprendre qu’il n’y aurait jamais de réponse et peut être même qu’aujourd’hui encore, je ne le comprends pas vraiment.
J’avais appris de toi à doser le whisky dans le café. En réalité, ce n’est pas toi qui me l’avais appris, j’avais surtout réussi à trouver le dosage qui faisait que je ne sombrais pas totalement. Je savais ce que je pouvais m’autoriser à verser dans le fond de café bouillant pour rester apte encore à sentir ton absence. Autour de moi, au dessus de moi, il ne restait en fait que tes yeux sans visage qui me scrutaient, qui m’épiaient, qui me suivaient comme ils le faisaient avant, comme ils l’avaient toujours fait. Je sentais toujours planer au dessus de moi ce regard qui m’obligeait à me justifier, à me défendre et je ne l’avais pas supporté. J’avais trouvé les dérivatifs qui me permettaient de survivre mais je toussais beaucoup.
Les histoires imbriquées, les affaires pourries que je trainais et toutes ces personnes que j’écoutais me raconter leurs catastrophes ne m’empêchaient pas de penser à toi. Je me noyais sous les paperasses d’autres vies, sous les photos d’autres crimes, dans les souvenirs d’autres larmes et je me demandais toujours qui j’étais. Chaque jour, je savais que je repartais dans un nuage d’ivresse pour t’oublier en refusant de tomber. Chaque pas semblait accompagné de ton absence, chaque pensée était accompagnée de ton souvenir et pourtant je me disais que je t’avais oubliée. Le déni était d’autant plus facile à vivre que j’étais noyé dans les papiers, les affaires, l’alcool et le café pourtant je tombais. Je n’avais même pas voulu garder de traces de toi. J’avais tout brulé sur la plage et évidemment j’avais pris l’amende qui allait avec.
Je survivais ma vie enveloppé dans ce brouillard permanent de volutes de moi-même. Souvent, je me réveillais sur le sol du salon, habillé, ne sachant ni l’heure, ni le jour et me demandant ce que j’allais faire de cette nouvelle journée. Parfois, même l’impression que je flottais en dehors de mon corps et que je m’observais être observé en faisant semblant d’être inspiré sur des événements que je ne comprenais pas et qui me dépassaient de toute façon. A force de m’auto détruire, mon âme devenait plus légère, moins chargée et partait dans ses dérives. Mon âme s’envolait.
Et toujours cette pensée, cette angoisse de se demander ce que tu faisais, avec qui, si tu pensais à moi, si tu te souvenais seulement de mon nom, si j’avais existé pour toi autant que tu m’accompagnes encore aujourd’hui. Je me souvenais des rires et je revoyais les larmes. Je restais souvent interdit dans les rues, sur la plage, absent. Des heures durant, j’ai regardé mon plafond, qu’il soit étoilé, allongé sur la plage, une bouteille à la main ou que les lames boisées me regardent en retour sans véritablement comprendre à quoi je joue parce que je suis totalement incapable de l’expliquer. Tu me manques et je veux t’oublier. Ton absence est plus envahissante que ta présence et il faudrait que je trouve une façon de te dire au revoir et je ne sais pas si j’en ai plus envie que besoin.
J’avais retourné toutes les transcriptions, tout ce que j’avais en ma possession. J’avais l’impression d’avoir créé un rituel et ça n’était pas qu’une impression. Je reprenais tous les soirs à zéro et plus les jours passaient, plus les pièces s’entassaient, plus il fallait de temps pour tout reprendre, plus j’avais besoin de soutien, moins je dormais. J’aurai voulu que cela m’aide à oublier le reste mais tout n’était plus qu’une immense salade mixte où les images se superposaient les unes aux autres, où les émotions se chevauchaient et où le monde lui même se pliait et se dépliait dans un capharnaüm de sons stridents et oppressants et d’images ternes, sales et violentes.