Fonctionnaires (partie 9) – La semaine politichienne de Smig

Il n’était pas facile de changer de voie, de changer de vie. Elle sentait sur elle le poids d’une pression inconnue. Le poids insupportable des attentes venues d’ailleurs, venues des autres. Plus fortes encore que les concours, les diplômes, il s’agissait là de l’examen de sa vie. Elle ne savait pas quoi faire finalement. Elle s’habilla. Elle ne savait pas trop ce qu’elle allait faire pour fuir cette vague de mélancolie qui la submergeait.

Il n’était pas si facile de partir, de tout quitter, pour tenter autre chose, ailleurs. Elle sortit de chez elle sans trop savoir où tout cela la mènerait mais elle suivait désormais ses intuitions. Son rêve d’absolu s’achevait en fait. Elle emportait avec elle sa mélancolie, loin. Une tristesse venue de nulle part et qu’elle ne savait pas maîtriser, comme si elle savait concrètement que quoiqu’elle fasse, quoiqu’il se passe, elle ne changerait rien. Elle ne construirait pas ce monde meilleur qu’elle avait rêvé et construit des centaines de fois, des dizaines de nuits sans sommeil.

Il n’était pas si facile de penser changer le monde et constater l’échec. De partir et ensuite mourir dans une autre vie, une autre situation. Il lui aurait fallu changer toutes ses habitudes, changer de nom, changer de profession mais cela demandait tellement d’efforts de construire ce monde meilleur. Mais elle voulait se croire libre même si cela coûtait cher, très cher. Elle voulait croire que tout était possible que tout pouvait se construire autour de ce monde meilleur.

Il n’était pas si facile de traverser la rue au milieu du vacarme et des accidents, des accrochages et des insultes. Quelques regrets, quelques souvenirs retenaient toujours à l’endroit de départ mais elle savait maintenant que le monde meilleur ne se construirait pas sur les ruines du précédent. Il fallait reconstruire, faire à nouveau. C’était l’heure de partir, elle venait de sonner et plus rien ne servait de revenir en arrière. Ce jour devait être celui de sa gloire, il sera finalement celui de son départ.

Elle s’était mis du rouge sur les joues et du rouge sur les lèvres pour se convaincre qu’elle était une nouvelle elle. Elle ne voulait pas d’un retour, il lui fallait partir et comprendre que c’était la fin.
Il n’était pas si facile de finalement croire que ce monde meilleur, finalement existerait alors qu’elle avait passé sa vie à subir celui-ci. Le sens de sa vie n’avait été jusqu’ici qu’une répétition permanente. Une boucle sans fin. Mais aujourd’hui, plus fort qu’elle, la boucle venait de se rompre. Elle avait mis ses plus beaux bijoux et son parfum le plus cher pour rompre les habitudes, les routines pour enfin croire qu’il puisse exister ce monde meilleur.

Elle entra dans son parking. Tout était calme, silencieux, paisible. Le néon clignotait comme font tous les néons de tous les récits. Les voitures étaient parfaitement alignées comme une allégorie de cette vie si rangée, si propre, si cadrée. Chacune posée dans son espace prévu et délimité, sans jamais mordre sur les lignes, sans jamais dépasser, en attente. Elle entra dans sa voiture qu’elle utilisait si peu mais il fallait en avoir une comme une évidence d’un mode de vie qui n’était pas le sien mais aujourd’hui, cette voiture devenait l’outil indispensable à sa liberté parce qu’elle voulait enfin essayer d’être libre même si elle savait que ça coûterait cher.

Elle avait mis sa plus belle robe comme pour se sentir irrésistible, inattaquable par ce nouveau monde qu’elle allait affronter et dans lequel elle entrait de plein pied. Elle démarra, ouvrit en grand les fenêtres avant, et lança la musique aussi fort que ses enceintes pouvaient supporter. Ce qu’elle s’était toujours interdit de faire commençait par ça. Libérée de ses chaînes, elle oubliait ce qu’il restait d’elle. Elle jeta son téléphone qui se fracassa contre le mur. Rompre avec cette vie qu’elle estimait ratée et se lancer à corps perdu dans l’inconnu, dans ce monde meilleur.

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