Comme toutes les personnes qui s’empressent d’écrire: « Sources? » sur la moindre publication, sur les réseaux sociaux, parce qu’incapables de se comporter en adultes et de chercher, par eux-mêmes, les preuves ou les contre arguments d’un exposé; comme toutes les personnes qui s’empressent de voter et de voter pour éviter le pire en plébiscitant le plus mauvais, elle éprouvait le besoin d’être maternée, d’être guidée, d’être dirigée.
Aujourd’hui, elle devait faire le tour de tous les bureaux de vote de sa ville. Serrer des mains et sourire, surtout sourire et sourire encore. Se sentir confiante et montrer cette confiance pour qu’elle se diffuse sur tous les autres alors que le cœur bat beaucoup plus vite, beaucoup trop vite, alors que les mains sont moites, trop moites, alors que le corps tremble et que le cerveau dérive en permanence.
Vouloir surveiller les résultats mais ne pas vouloir les voir. Chercher le réconfort dans les yeux des inconnus, dans les attitudes des partisans et les sueurs des opposants et en réalité, ne rien savoir, ne rien comprendre tant le corps est déconnecté du cerveau, tant l’esprit est ailleurs.
La journée commença avant les aurores. Il n’y eut pas de petit déjeuner. L’estomac était noué, la gorge trop sèche. Quelle idée de se lancer dans cette aventure et maintenant que l’échéance approchait, se précisait, s’intensifiait, elle perdait ses repères. Elle resta figée un long moment à regarder par la fenêtre, le brouillard de la matinée se lever. Les nappes de fils blanchâtres se fondaient progressivement dans les rayons du soleil.
Malgré toutes les émotions contradictoires qui se profilaient, la journée serait belle. Les bruits de la nature apparaissaient, eux aussi. Entre les oiseaux qui brisaient le silence par leurs chants et les différents animaux domestiques qui, eux aussi, signifiaient au monde qu’ils étaient encore vivants, elle comprit que cette journée marquerait un tournant.
Rien, pour elle, ne serait plus jamais comme avant. Quelque soit le résultat, aujourd’hui, elle devenait une notable de cette ville, une figure référente, une voix qui compte. Elle représenterait une foule, une masse, un collectif. Elle ne serait plus jamais seule à penser et à dire ce qui lui pèse sur la vie de sa ville.
Une part d’elle avait encore envie de croire cela mais la partie raisonnable qui lui restait, savait, depuis toujours, qu’il n’en était rien. Elle ne représenterait personne et, finalement, même pas elle même. Cette campagne au milieu de la ville, des immeubles et des rues lui avait clairement signifié que peu de personnes restaient sensibles à la parole politique. Elle avait essayé de séduire, de plaire, de parler des choses qui excitent les gens mais en réalité, elle parlait déjà, comme tous les autres, de choses qui n’excitaient qu’elle.
Elle avait cru que le fait d’être élue, désignée, ferait d’elle une personne placée au dessus de la masse, une sorte de divinité, supérieure, forcément supérieure et qui apporterait une parole qui compte double. Toutes les images et les discours lui revinrent alors en mémoire et elle se dit qu’elle ne voterait sans doute pas pour elle.
Elle trouvait détestable cette apparatchik du pouvoir qu’elle était devenue alors qu’elle n’espérait qu’être édile de son fief. Elle espérait que ses vassaux ne seraient pas, aujourd’hui, assaillis par les mêmes doutes qu’elle et que son bastion tiendrait bon face aux flèches des ennemis mais elle sentit que tout cela était vain.
La bataille était déjà perdue parce qu’elle savait qu’elle était, malgré tout, restée aussi inutile qu’elle l’était auparavant. Rien n’avait changé. Elle était seule et elle le resterait, quelque soit le résultat. Elle n’avait pas la grandeur d’âme, la noblesse, la dignité qui construisent les grands de ce monde. Elle n’était qu’une femme ordinaire, aussi ordinaire que tous les autres élus du pays parce que ce n’était pas la grandeur des autres qui la poussaient vers ce sacre mais bien, la seule volonté de voir rayonner sa propre lumière.
Ce matin, dans cette lumière entre chiens et loups, dans cette ville entre bourg et métropole, dans cet instant de sa vie, entre l’âge de raison et l’âge du repos mérité, elle comprit qu’elle avait voulu être monarque mais, que, en réalité, tous les monarques ne sont pas nobles.