Elle avait des idées sur tous les sujets. A force de se taire et de se cacher d’être elle, elle avait enrichi son intérieur de toutes les objections qu’elle pouvait. Elle remettait en cause toutes les anciennes mesures municipales. Les trouvant toujours trop sages ou insuffisamment courageuses.
Elle voulait de la démocratie directe parce qu’elle avait trop souffert de se taire face à l’horizontalité du pouvoir. Elle voulait accompagner les seniors et guider les plus jeunes, mettre des espaces verts partout et donner un logement et un emploi à tous. Elle voulait changer le monde par le prisme de la mairie de sa petite commune. Elle croyait encore aux bienfaits de la politique, à l’utilité de la politique telle qu’elle se pratique. Elle croyait aux discours, surtout si les gestes et les actes se joignaient à eux.
Elle avait des idées pour tout, des objections pour tous et des explications pour tous les autres. Elle était partout comme poussée par une euphorie qui en fait n’était même pas la sienne. Elle s’était retrouvée là parce que personne ne voulait y aller comme toujours dans sa vie depuis le début. Elle voulait croire que c’était un choix, une sorte de mission venue d’en haut alors elle arpentait les marchés, elle serrait des mains et claquait des bises à des inconnus.
Elle devait avoir réponse à tout ce qui fait une commune sans jamais avouer qu’elle n’en savait rien. Il fallait être irréprochable sur tout, tout le temps et avoir des réponses satisfaisantes sur le terrain de foot du quartier nord comme sur les terres en permaculture de la butte aux merles, des idées pertinentes sur le réseau d’eau potable et celui des bus, et des révolutions en fiscalité et en commerce équitable. Elle travailla comme jamais.
Les concours de la fonction publique, les examens universitaires, les accouchements qu’elle avait fini par oublier, tout lui parut plus aisé que cette épreuve. Elle savait que ce n’était pas vrai mais la panoplie de la difficulté à conquérir un pouvoir illusoire allait bien au teint des candidats. Faire croire qu’on est Droopy à force de nuits blanches avec les cernes jusqu’aux genoux du voisin rendait crédible un candidat construit à la va vite dans la salle du fond du bar des artistes de la place de la résistance.
Elle finit par croire en ses chances parce qu’on lui disait d’y croire. Elle entendit pendant des semaines qu’elle était de loin la meilleure. Elle savait que c’était faux mais comme personne ne lui avait jamais dit auparavant, cela regonfla son ego en berne. Il y a quelques mois, elle parlait à son chat d’en finir avec tout et à son poisson rouge des courses à faire pour continuer d’être dans le système.
Elle méprisait finalement ses collègues qu’elle trouvait suiveur, pleutre et lâche et auxquels elle n’arrivait pourtant pas à se dissocier puisqu’elle était jusqu’à maintenant aussi lâche et pleutre et faible qu’eux. Elle méprisait parce qu’elles étaient comme eux. Elle se plaignait de tout, en permanence mais elle n’avait jamais pu décrocher. Ce n’est pas l’amour des élèves ou du métier, c’est seulement ce travail de longue haleine, pernicieux, d’un monde en fin de vie qui fait croire à tous qu’ils ne sauraient faire autre chose que ce pour quoi ils auraient été destinés.
Aujourd’hui, elle avait la chance que tous les autres attendent et n’ont jamais de devenir quelqu’un d’autre, de faire autre chose et de se sentir utile enfin ou à nouveau parce que cela faisait tellement longtemps qu’elle ne se sentait plus vivante alors que comme chaque être humain, elle avait besoin de cette essence et de cette énergie vitale.