Elle avait vécu, avant, il y a longtemps, dans une autre vie, une vraie belle histoire de cul, peut être même d’amour; elle ne le saura jamais en fait. C’était il y a sept ans maintenant ou peut être même davantage, le temps passe si vite quand tous les jours sont les mêmes. Un de ces suppléants envoyés à l’abattoir par un rectorat incompétent, encore empli de fougue et de naïveté quant à ce métier, lui avait montré une autre face de la pièce de sa vie. A jouer à pile ou face, puisqu’il n’avait rien à perdre, puisqu’il n’existait pas pour l’éducation nationale, il avait réussi à lui faire croire qu’elle était belle et désirable. Il avait même réussi à obtenir d’elle des faveurs inconnues et des actes inédits.
Sa situation professionnelle, son incertitude professionnelle, avait fait qu’elle avait exigé de lui des sacrifices, qu’elle avait réclamé, ordonné, imposé, obligé et, à force qu’il réponde à ses ordres en faisant toujours tout pour que ce soit pour le mieux, elle s’était lassée. Elle s’était comportée comme une vraie connasse mais elle ne l’avait compris qu’une fois qu’elle l’eut largué, comme une merde comme on dit, pour retourner dans les bras de son ex alors qu’elle savait déjà pertinemment qu’il n’en avait cure de ce qu’elle était. Elle était le symbole ultime du paradigme de la femme insupportable.
Son ex était réapparu de nulle part, grâce aux réseaux sociaux. Ils étaient, elle et lui, restés sur un non dit, sur une histoire finie sans l’être. Il était parti pour une autre. A l’époque, elle avait cru que c’était en raison de la pression familiale, de l’argent, de la situation sociale, alors, il fallait qu’elle soit sûre, qu’elle connaisse la hauteur de ses sentiments, quitte à se séparer avec pertes et fracas d’un homme qui l’aimait sincèrement mais il fallait qu’elle sache.
Alors, elle avait tenté l’aventure du retour de l’enfant prodige, de celui qui l’avait fait chavirer adolescente et jeune femme. Elle voulait être sûre, elle le fut. Comme la première fois, il prit ce qu’il avait à prendre et qui ne nécessitait pas d’investissements trop forts et partit une nouvelle fois, ailleurs, avec une plus jeune, plus belle, plus fraîche et sans doute même, plus riche. Son hybris l’avait perdu et désormais, il était trop tard pour construire autre chose.
Elle avait bien des aventures mais avec des hommes sans intérêt, rencontrés au hasard du net ou de vagues soirées désuètes et provinciales. Ce type de soirées où tous les gens se persuadent, eux mêmes, qu’ils ont de l’importance, qu’ils ont de la valeur. Ce type de soirée où l’impression de faire avancer le monde est la valeur la mieux partagée entre tous, mais où, finalement, le soir même, chacun dans son lit, seul, s’aperçoit qu’il ne se passe rien et que les jours tristes succèdent aux jours gris et que la révolution n’est pas pour demain parce que demain, d’abord, il faudra dessaouler et supporter la présence de la personne qui dort à côté et qu’on a déjà oublié.
Elle avait laissé passer sa chance et la litanie de sa vie se résumait à cela, une succession de passages à côté pour ne conserver finalement que le médiocre. Elle était devenue, malgré elle, tout ce qu’elle refusait de devenir quand elle entra dans la profession. La prof aigrie à cause de ses élèves, de son quotidien, de sa vie de célibattante mais davantage comme une porte que comme les féministes, ou appelées comme tel, qui écumaient les plateaux de télé des chaines d’info en continu, à côté des vegan qui saccageaient les boucheries, des barbus qui défilaient avec les antifas et des politiciens qui promettaient l’avenir en rose avant de s’apercevoir qu’ils avaient un nombre de procédures aux fesses équivalent à la moyenne générale de ses classes, depuis la énième réforme de l’éducation nationale que, comme les anciennes, elle n’avait pas comprise.
Elle enseignait une discipline dont tout le monde se foutait finalement. Il suffisait de partir en immersion quelques mois pour se persuader qu’on maîtrisait la chose. Après sept ans d’enseignement subis par les élèves, à raison d’au moins trois heures par semaine, ils étaient toujours incapables de demander l’heure ou de ne pas pleurer s’ils se perdaient dans le métro. Bien sûr, c’était la faute des élèves qui trichaient aux contrôles ou examens en se refilant les réponses, comme si elle allait prévoir une interro différente pour chaque classe. La faute d’un système qui exigeait qu’il y ait des évaluations de tout, tout le temps, sur tout, même sur le rien. La faute aux collègues qui se plaignent en permanence, qui font sauter des heures, qui ne font rien, qui en font trop, qui sont absents, qui dénoncent, qui sont juste des humains avec tous les travers exacerbés dans un huis clos irrespirable de jalousie. Jalousie parce qu’elle était mieux payée qu’eux grâce à l’ancienneté, jalousie parce que les élèves l’aimaient bien ou ne la supportaient pas, jalousie parce que son thé est meilleur que celui de la machine, jalousie pour ci, jalousie pour ça, pour être une prof et que les autres le sont aussi mais différents. Se détester entre soi mais ne jamais oublier de se sourire. En tout cas, la faute de l’univers s’il le fallait mais surement pas la sienne.
Bien sûr, elle avait entendu les récits des gens qui disaient que c’était pareil dans tous les métiers et pourtant… Des nuits entières, elle avait rêvé à ce qu’elle pourrait faire d’autre, ailleurs. Des nuits entières, elle s’était battue avec elle même pour changer de tout mais des journées entières, elle manquait de courage pour ça. Il fallait payer les traites de l’appartement, remplir le frigo et nourrir le chat, alors, tout plaquer, pour chercher mieux, pour vivre mieux dans la tête, ça n’était pas possible et puis, maintenant, elle était trop vieille pour passer à autre chose alors, elle ferait encore quelques rencontres parents profs, jusqu’à tard le soir, en sachant que c’est totalement inutile.
Alors, elle enquillerait encore des conseils de classe pour se croire importante, alors que, fondamentalement, il y a peu de choses qui soient plus inutiles que ça. Alors, elle ferait encore quelques voyages en espérant qu’elle pourrait même obtenir d’aller plus loin, comme aux USA ou en Chine, parce que c’est très loin, parce que c’est bien et parce que c’est au moins deux semaines sans le quotidien. Des sortes de vacances de soi plus que d’autre chose.
Tout cela était devenu son quotidien circulaire, les cercles dantesques. Se dire, j’aurais dû ou j’aurais pu et faire payer aux élèves, le fait de ne pas l’avoir fait. Faire passer toutes les douleurs physiques inventées par le psychique comme des raisons de se plaindre, de se faire plaindre et de se lamenter. Avoir comme excuse définitive, les douleurs cervicales inexistantes pour ne pas bosser, ne pas baiser, ne pas partir, ne pas innover mais faire pleurer dans les chaumières ou au moins, espérer attendrir suffisamment pour en faire encore moins la prochaine fois et recommencer le lendemain… Passer l’année à se reposer sur l’empathie des élèves, des collègues, des parents et prier pour que ça tienne longtemps et, dès que le mur de l’indigne se fissure, demander et obtenir sa mutation, parce que les points, ça rapporte et recommencer la même chose dans un ailleurs et tant que ça tient, tout va bien… Bientôt la fin, bientôt la retraite et les séries nulles en milieu de journée et attendre la fin puisque finalement, tout cela n’a pas vraiment de sens.
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