Elle se lèvera dans une lumière entre chien et chat. Elle aura passé sa nuit à tourner dans son grand lit vide et froid. Elle restera couchée, éveillée, à regarder les minutes passées sur son radio réveil en attendant que, enfin, l’heure du lever ne retentisse en diffusant les voix des donneurs de leçons radiophoniques.
Le monde va mal, les gens sont fâchés, le climat explose partout sur la terre et pourtant, elle continuera à se plaindre du manque de moyens de son établissement, du nombre d’élèves par classe, de la violence des parents, des frères, de la rue, se plaindre des salaires qui ne correspondent à rien et de la retraite qu’elle pense ne jamais connaitre. se plaindre aussi de la nullité des collègues et de l’incompétence de la hiérarchie, incompétence crasse, vulgaire, méprisante et méprisable.
Elle allumera machinalement la télé afin d’être sûre que le monde va vraiment aussi mal que ne le dit la radio. Quelque part, elle se sentira rassurée que les medias d’état disent tous la même chose. Que les fonctionnaires médiatiques crachent sur les autres fonctionnaires plus petits qu’eux, en continuant de vénérer les hauts fonctionnaires parce que, eux, ils ont le salaire, le prestige et la fonction. Ils ne font rien, ils ne servent à rien mais ils gagnent beaucoup et ils ont de l’influence alors qu’elle, pauvre petite fonctionnaire de l’éducation nationale perdue dans une province oubliée, ne mérite pas qu’on s’attarde sur ses problèmes.
Personne pour écouter ses envies, même le dernier homme avait cédé face aux plaintes récurrentes. Il n’était pas du métier, il ne pouvait pas comprendre.
Elle nourrira son chat parce que, avoir un chat, est une obligation mythologique dans son monde. Elle aurait aimé en avoir d’autres même, mais le vieux félidé qu’elle traînait depuis si longtemps ne le voyait pas du même œil.
Alors, après les travaux de ravalement d’usage pour camoufler l’aigreur qui commence à se dessiner sur son visage, à moins que ce ne soit l’âge tout simplement, elle descendra son vieil escalier en faux marbre et à la rampe en teck industriel.
Elle attendra gentiment son bus en regardant son fil de Facebook et verra tous les messages de toutes ces personnes qui ne savent même pas qu’elle existe. Elle voudra commenter. Elle voudra participer et puis, elle renoncera parce qu’elle ne supporte pas la haine des réseaux dits sociaux qui ne font que déchirer la société.