Fonctionnaire 11 – La semaine politichienne de Smig

Elle resta assise sur le perron de l’officine. Elle attendait que son corps lui dise que la destruction pouvait se poursuivre ou reprendre. Elle retrouva de la lucidité. Et puis, finalement, il ne servait à rien d’attendre, au contraire même. Il fallait accélérer le processus. Elle sortit une nouvelle cigarette du paquet. Sans s’interroger le moins du monde mais plutôt en poursuivant sa quête d’autodestruction, elle l’alluma et tira une grosse bouffée du cylindre chaud. La tête tourna à nouveau mais elle résista. Elle était assise donc elle ne vacillait plus.

Elle fixait l’église du village. Elle était d’une banalité toute nationale. Elle ressemblait à des dizaines d’autres églises dans des dizaines d’autres villages et pourtant, comme toutes les autres, elle avait quelque chose de particulier. Quelque chose qui faisait qu’on voulait y entrer et se perdre dans la fraîcheur de la nef. Se laisser griser par une spiritualité artificielle, cette chose qu’on ne contrôle pas, qu’on ne comprend pas et qui pourtant existe dans beaucoup de lieux dédiés au sacré. Elle pensait que la force des esprits qui s’étaient libérés en ce lieu l’aiderait à supporter la nausée, l’agression du tabac sur son corps.

En effet, elle gardait les yeux ouverts cette fois. Si le boxeur revenait, elle voulait le voir, l’affronter même. Cela faisait partie de ses nouvelles résolutions. Elle voulait faire ce qu’elle s’était toujours interdit de faire. Ne plus subir, ne plus supporter mais affronter et même si cela devait lui coûter cher, elle considérait qu’elle avait perdu son temps et la majeure partie de sa vie à vouloir plaire, satisfaire des compagnons de passage qui n’en valaient pas la peine finalement, des supérieurs hiérarchiques tous plus incompétents les uns que les autres comme si le concours pour devenir chef était une palme à la médiocrité. Désormais, elle voulait choisir ses partenaires et ne plus les subir. Trop de fois, elle avait succombé aux charmes supposés d’un bellâtre qui ne valait pas finalement les heures passées en sa compagnie. Trop de fois, elle avait cédé aux avances d’un lettré faussement cultivé, maladroitement cultivé mais supérieurement manipulateur. Longtemps, elle avait voulu se rassurer en se disant qu’elle avait choisi, qu’elle menait la danse et que c’est elle qui se donnait quand elle le voulait et à qui elle le voulait mais en réalité, en y regardant de plus près, elle comprit qu’elle se mentait depuis si longtemps. Elle ne maîtrisait rien parce qu’elle n’était pas suffisamment armée pour affronter les hordes de désirs, d’envies, de besoins qui s’emparaient régulièrement d’elle.

Elle voulait plaire et se sentir vivante malgré tout, malgré cette vie banale de fonctionnaire acariâtre et triste. Elle paraissait austère pour beaucoup malgré les rires sonores qu’elle se forçait parfois à avoir en salle des profs ou dans les soirées faussement mondaines de la petite bourgeoisie de province. Elle avait passé des nuits dans des bras quasiment inconnus en quête d’un plaisir fugace qui ne venait que rarement finalement parce qu’il manquait toujours une composante essentielle, la conquête de la lune. Comme si le tabac recelait de vérités inavouables, elle comprit en cet instant, enfin, qu’elle voulait vivre et non plus subir. Elle se devait de choisir et de ne plus être choisie. Elle devait imposer, elle voulait connaître ce que finalement peu connaisse, une vraie histoire passionnelle avec des vrais morceaux de sentiments dedans et non plus les fables et les mensonges surinés au creux de l’oreille dans une respiration haletante. Elle voulait que l’autre soit en accord enfin avec ses sentiments. Elle ne supportait plus les fausses excuses. Les séparations sous des excuses lamentables comme « ce n’est pas toi, c’est moi » ou encore « je t’aime mais je te quitte » ou bien « je t’aime comme un fou mais ce que tu as fait là, ça ne passe pas ». Elle estimait, peut être à tort mais c’était son droit, qu’elle aussi, elle avait droit aux passions des livres et des films. Elle aussi, elle voulait être l’objet de toutes les obsessions, le centre de toutes les pensées, la pierre angulaire de la vie de l’autre. Elle voulait qu’on lui compose des chansons, qu’on lui rédige des odes et des sonnets, qu’on invente des épopées et des légendes sur son nom. Elle voulait, elle aussi, être un personnage d’amour éternel et extrême.

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