La seule chose que tout ce remue-ménage ridicule aura réussi à créer en moi, c’est un dégout profond de ce monde. La construction, l’articulation autour de stéréotypes inégaux me lassent, me fatiguent. Prôner une certaine égalité, peut-être même équité devient fatigant pour un homme âgé. Les simples marques de bon sens ne suffisent pas à rétablir ou plutôt établir une mouvance simple et sage. La dystopie qui effrayait est désormais en place. Elle s’est installée par notre absence de vigilance et même certains la trouvent positive et ce ne sont même pas ceux qui en profitent le plus qui se battent pour la conserver. L’aveuglement, le sommeil du dormeur perdure et s’enfonce dans les abimes comme un puit sans fond comparable aux méandres marécageux de leurs esprits embrumés.
Il ne suffit plus de dire que ce monde est injuste ou mauvais ou inégalitaire ou autre, il faut désormais le vivre, le subir et s’en accommoder. Il est toujours possible d’envisager la révolte et le combat mais ceux-ci semblent tellement s’accompagner du déni qu’ils apparaissent désormais comme des issues assez désespérantes. Ainsi, même l’espoir devient désespérance. Les convertis, les pervertis sont plus nombreux que les utopistes rêveurs et même si les doutes se font jour parmi les marcheurs de la nuit, la proportion de fanatiques intoxiqués au doux breuvage des promesses, au nectar sucré des illusions restent supérieurs aux éclairés qui apparaissent illuminés. Comme dans chaque révolte, comme dans chaque révolution, comme pour chaque transformation, comme pour la moindre mutation civilisationnelle, l’idéaliste apparait comme le dément et le collaborateur comme le sachant.
Il faut du temps. Il faut des souffrances. Il faut que la vérité ne soit plus seulement une vérité mais bien plutôt une évidence, une obligation, un devoir pour que l’évolution devienne acte. C’est tout ce temps qui passe et qui voit les plus illuminés partir les uns après les autres, les uns avant les autres, qui ne se rattrapera pas et qui fait que la grisaille emplit le ciel et voile de sa tristesse le radieux soleil des illusions et des espoirs. Parce qu’il s’agit d’une conviction profonde, une sorte d’organe greffé en sus, elle continue de nourrir le cœur et de réparer les blessures mais elle ne saurait être une réalité et reste à jamais un idéal lointain, comme la ligne d’horizon au loin, vers laquelle nos pas nous amènent un peu plus chaque jour mais qui en réalité ne bouge pas et reste toujours à égale distance.