Le rêve se construisait autour de cette utopie d’un sentiment supérieur et plus indestructible. Une chimère qui tenait l’univers et qui lui donnait constance. Et chaque jour, ce rêve s’estompe et se fissure par les coups de canif et les entailles dans la roche et la pierre de nos mondes. Sous couvert d’uniformisation sentimentale, l’obligation de se livrer à un cérémonial collectif afin d’atteindre le nirvana utopique.
Mais moi, si je ne souhaite ne pas me joindre à cette mascarade, moi, qui ne suis pas conçu pour ressentir ce type de sentiments, moi, qui ne veux pas ressentir ce type de sentiments, moi, qui ne suis que stupre et luxure, qu’ai je à faire des jets de fleurs et des colliers de magnolias?
Que cette obligation de sentiments soit faite pour tous mais qu’elle me laisse en paix. Je ne veux vivre que ce qu’il me reste à vivre sans connaître l’impératif d’un monde qui, de toute façon, me rejette ou dans lequel, au final, je ne souhaite pas entrer… Cette profusion de sentiments dégoulinants n’a de sens que si elle ne me concerne pas. Je n’y suis pas sensible et je ne veux pas y être sensible parce que justement, je suis trop sensible. Construire un mur protecteur contre les assauts de ce que le monde est, de ce qu’il construit, de ce qu’il veut qu’on devienne. Il faut être ce que l’on a décidé pour nous. Il faut être ce qui est prévu, ce qui est écrit. Puisqu’il est admis que cette époque ne correspond à rien, que cet univers ne correspond à rien, que la condamnation est désormais éternelle et inéluctable alors ainsi soit il. Il eut fallu changer de paradigmes tant de fois que cela devient exceptionnel de l’imaginer.
Et partout résonne cette litanie sombre d’une musique obligatoire et lancinante. Il faut que… tu dois…. et un petit coup d’impératif pour faire passer tout ça (toussa, toussa). On peut dès lors me taxer de différent, d’étrange, de borderline… C’est tellement rassurant de considérer celui qui ne suit pas la vague comme un « handicapé ». Handicapé sociétal. Incapable d’être dans le moule d’un monde qui n’a pas de sens ni de ligne. Soudain, l’idée d’être handicapé devient un avantage ou une raison de l’entretenir. Tout le monde veut être différent mais pourtant nous cherchons tous à être dans le moule. Alors moulons.