A partir du moment où le corps enseignant est circonscrit dans une méthode, un univers, un moule, il devient presque impossible que l’enseignement puisse échapper à cette uniformisation. Il faut réussir les examens, les concours pour entrer dans la société régie par le marché du travail et le monde de l’entreprise. Alors évidemment nous pourrions critiquer ou conspuer le système capitaliste qui contraint tout individu à être ce que la société exige qu’il soit ou devienne. Nous le pourrions. Ce serait encore une fois se ranger du côté de ce système sociétal. Cet univers nouveau de l’excuse perpétuelle. S’excuser pour tout, tout le temps et plus souvent encore parce que les excuses permettent de tout faire passer même l’indigne, même l’indicible. « J’ai pas payé mes impôts depuis 5 ans mais je suis ministre du budget?… Pardon…. »; « J’ai dit que les français étaient des fainéants? Mais non… vous n’avez pas compris c’est de la pensée complexe… vous êtes trop cons pour comprendre, voyons, désolé… ». Voilà, tout passe parce que les excuses sont plus fortes que les sanctions, parce que les sanctions sont, de toute façon, données par des « sanctionneurs » illégitimes alors rien ne sert de s’arrêter dessus. Plus rien n’est grave, plus rien n’a d’importance. Alors à quoi pourrait servir les règles de vie en société, la culture commune, le libre arbitre ou le sens critique puisqu’il faudra agir comme le cadre le définit et s’excuser d’exister. La moindre sortie de route est excusable et pardonnable du moment qu’elle ne remet pas en cause le système. Et c’est bien là tout le paradoxe. On prétend, d’un côté, nous donner les armes pour construire une pensée personnelle et réfléchie mais de l’autre, la moindre pensée subversive est annihilée, détruite et spoliée. Ainsi, la véritable leçon de l’éducation n’est plus de penser par soi-même ni de construire un raisonnement mais plutôt d’adopter le raisonnement commun, de ne jamais faire de vagues. Etre un bon petit soldat.
Bien sûr, la plupart des tenants de la bienséance vont nier ce fait et c’est leur droit le plus strict. Toutefois, plus les jours passent, plus mes cheveux tombent et plus je ne vois autour de moi qu’un monde déliquescent. Il ne s’agit pas de dire que c’était mieux avant parce que avant je n’y étais pas et que de toute façon je ne sais pas revenir en arrière mais simplement de voir, de constater que ce qui se construit chaque instant autour de nous n’est pas ce qui me convient. Alors, évidemment, mon avis, tout le monde s’en fout et c’est le jeu mais puisque j’estime que la société n’est plus qu’un uniforme commun au plus grand nombre, je fais action de différence et je dis avec mes petits bras musclés et ma voix de baryton tuberculeux que je ne sais pas entrer dans ces cases, que je suis pas équipé pour être le gendre idéal, ou le mari précautionneux, ou le père attentif ou encore l’enseignant qui va éviter les vrais sujets parce que ça pourrait être dangereux. Dangereux pour qui? Celui qui lance le débat? Celui qui ne répond pas comme on attend? Alors, je prends les risque pour moi et les dangers qui vont avec et tant pis pour moi… je ferai des excuses… L’éducation Nationale ne forme pas des hommes (au sens humains), elle forme des obéissants, des reproductifs, des copieurs. Elle vise à fournir au capitalisme la main d’oeuvre nécessaire à la poursuite de l’économie ultra marchande. Elle construit, avec quelques décennies d’avance, le clonage. Chacun d’entre nous est interchangeable et remplaçable par un autre. D’un côté, la flatterie égotique impose que nous soyons tous uniques et différents mais, de l’autre, elle fait de nous tous des ingénieurs en informatique.Il s’agit quand même d’une superbe réussite idéologique. Faire croire à la très grande majorité que tout le monde est différent et que cette différence doit être mise au profit de l’uniformité. Tous différents mais tous pareils. On peut toujours continuer à fermer les yeux et se persuader que l’école n’y est pour rien, comme dans un sursaut digne de l’instinct de survie d’une institution incapable de suivre l’évolution sociétale mais, plus encore, de véritablement se remettre en question sur ses fondements et ses croyances. Mais, tout comme les parents et la cellule familiale cherchent à faire des enfants des gens bien intégrés dans la société, l’école participe, clairement, à cette déconstruction individuelle programmée afin de nous faire entrer de force dans le moule à gâteaux.
Le problème de ce genre de texte est que tous vont y voir le cri dépité et même dégoûté d’un être aigri. J’aurai beau dire qu’il ne s’agit en aucun cas d’amertume, je sais déjà que la majorité des endoctrinés vont trouver ce texte provocateur et peut être même injurieux. Si tel était le cas, il ne s’agirait que d’une preuve de plus pour moi que le fait de ne pas penser ou agir comme le dicte une entité invisible supérieure représente le mal. Il est toujours plus simple de considérer que le mal est celui qui n’est pas dans la majorité bien pensante. La majorité a toujours raison même quand elle a tort. La majorité représente le bien, ne pas être dans le camp consensuel, c’est exposer sa différence et ça devient gênant. Néanmoins, toutes les différences ne sont pas bonnes à exposer. Le fait d’avoir une pensée discordante et argumentée fait partie, pour moi, des différences valables. Se définir comme appartenant à une société marginale, quasi sectaire, parce que ça fait bien d’être à part, c’est du rognon de veau: » Je suis végan parce que c’est hype, je suis bisexuel tendance chronophage, herbivore à poils roux antifas, bouliste-skieur parce que c’est trop cool », c’est du tripotage de nœud marin. Se définir comme être existant devrait s’apparenter à être soi-même avec toutes les difficultés que cela suppose, vouloir impérativement se reconnaître dans une boîte en carton c’est juste ne pas s’assumer et considérer que le nombre sera toujours plus fort que moi parce que le nombre a raison alors que moi, c’est moins sûr.