Ce n’est pas tant que j’étais une personne taciturne ou triste. Je crois en réalité que je n’étais qu’une personne consciente de ce qui l’entourait. Réaliste tristement réaliste. J’aurais pu et sans doute dû me forcer à un optimisme béat ou à une posture joyeuse et positive en chaque circonstance, sauf les plus graves. Mais tout est grave. Et puis, l’idée ou même la perspective d’éprouver la moindre gaieté dans mon quotidien me paraissait déplacée. Ma vie tournait donc autour de ces faux semblants et de cette attitude détachée en permanence parce que je savais déjà que c’était l’attachement qui causait les souffrances. Ne pas s’attacher, ne pas se lier de manière endémique à l’autre. Pouvoir se passer de promiscuité et de proximité sauf sexuelle.
Ce n’était pas la meilleure des solutions, je peux l’entendre, toutefois c’était celle que j’avais choisi parce que j’étais las des souffrances inutiles qui, de toute façon, disparaissent avec le temps. Pas de liaisons fortes pour ne pas avoir de ruptures violentes. Etre un faux dépressif permanent pour ne pas être poussé à le devenir réellement. Evidemment, il y avait eu des souffrances, des blessures et c’était la connaissance parfois trop accrue de cet état de fait qui me poussait à, désormais, le refuser. Plus qu’une esquive de l’engagement, c’était un refus de se compromettre dans des relations vouées, par nature, à l’échec.
Quelques fois le téléphone me rappelait l’existence de vagues membres d’une obscure famille en réalité inconnue. La famille que je m’accordais était celle qui se modifiait chaque soir au grès des rencontres et des discussions alcoolisées ou enfumées. Cela n’était pas satisfaisant mais me suffisait amplement. J’aimais ma solitude parce qu’elle n’obligeait que moi. C’était cela, plus encore, qui me semblait essentiel dans ma démarche. Ne pas souffrir, certes, mais ne pas faire souffrir l’autre. Ne pas lui imposer ma présence parce que moi-même je ne la supportais pas. Je me trouvais agréable à regarder et même intéressant à croiser dans l’effervescence d’une soirée embrumée mais il fallait éviter de trop répéter ce genre de manifestations parce que ma compagnie était rarement annonciatrice d’éléments positifs pour autrui. J’évitais donc d’infliger aux autres ce que j’évitais moi-même de m’infliger, ma présence.