Je m’étais redressé afin d’avoir une visibilité sur sa toison frisotée et sur l’intégralité de sa peau tannée. Je m’aperçus que j’aimais sa peau, sa couleur, son gout, sa douceur. L’envie me reprenait. Je couvrais mon entre jambe avec le drap pour cacher toute naissance d’émoi de ma personne. Je tentais une timide amorce de discussion afin de faire diversion.
- Mais pourquoi tu parles français ?
Je savais déjà que je regretterais d’avoir posé cette question. Elle lançait par définition les hostilités sur le récit d’un mauvais remake de l’Est des Misérables. Et intérieurement, ce n’est vraiment pas ce dont j’avais envie.
- Avant de faire pute en Italie, j’étais pute en Belgique, et un peu en Suisse aussi.
- Ah ouais… en fait t’es internationale !
J’avais apprécié l’utilisation du terme pute, parce que même si la connotation est péjorative, elle ne cachait pas ce qu’elle était et finalement cela donnait des lettres de noblesse au mot. L’utiliser c’était à ce moment précis lui donner du sens, du corps et je trouvais ça digne.
Elle commença alors le récit de son histoire dans un sabir mêlant de l’italien, de l’anglais du français et un dialecte inconnu, qui selon ce qu’elle racontait pouvait être du roumain ou du bulgare. Tout cela me parvenait avec un fort accent dans le verbe qui semblait venir d’un quelconque pays de l’Est… ou d’ailleurs… c’était vraiment sans importance pour moi parce que son histoire n’avait aucune importance pour moi. J’en avais entendu des centaines semblables à celle-ci. Aucune raison d’écouter davantage celle-ci plutôt qu’une autre d’autant que mon coup de folie m’avait déjà couté 50 euros et que je ne voyais pas de raisons de partager plus encore. J’avais payé sans rechigner parce que je ne voulais pas d’esclandres dans un pays où je n’étais rien et où je ne comprenais rien et que je sentais bien qu’elle était capable des pires scandales afin d’exister.
- Et comment tu t’appelles ? Je savais déjà que je regretterais d’avoir posé cette question. Elle lançait par définition la suite de son récit. Cela avait été plus fort que moi. Les mots étaient sortis de moi sans que j’y prête attention, sans que même je m’en aperçoive réellement.
- Sofia
- Comme Loren…
- Non, comme la ville
Je m’allumais une cigarette. La nuit promettait d’être longue désormais.