Voleur d’Ombres (4ème époque, Episode 14) Passaggeri del vento

Le temps passait comme s’il était déjà mort, comme s’il n’avait jamais existé. Les notes sourdes d’un orgue au loin résonnaient sur les pierres humides de la cathédrale. Tout semblait figé comme si le temps n’avait jamais existé et qu’il ne pouvait plus effacer les minutes passées ensemble. Les vagues continuaient de frapper les marches du perron et l’eau s’écoulait aussi vite que montait l’angoisse. Elle ne pouvait cacher que l’émotion la bousculait, que déjà les questions se bousculaient en elle. L’espoir fou de retrouver cette sensation, ce sentiment. Elle n’osait pas demander s’il resterait là un jour, une heure, une vie ou quelques secondes. Elle s’imaginait déjà au dernier épisode de son histoire et même si elle voulait donner l’apparence d’être totalement détachée de tout cela, d’être dans un autre monde de douceur, elle ne parvenait pas vraiment à rester dans ce monde inconnu.
Elle voulait trouver la place dans son cœur pour accueillir celui qui voulait partir. Elle se sentait portée par un souffle qui l’aurait fait courir à travers toute la ville et que même les dédales des ruelles, les immensités des places, les pertes dans les calle de la sérénissime ne pourraient l’arrêter. Elle se sentait sur le point de le rejoindre, de le retrouver alors qu’il était là, toujours.
Le temps était passé si vite et si lentement et il n’avait pas été là. Toutes les douleurs, tous les coups durs traversés depuis tout ce temps, il n’avait pas été là et il n’était pas venu. Elle l’avait attendu, elle s’était blessée à heurter des vitres et des lustres et chaque choc n’avait fait qu’altérer ce qu’elle voulait être.
Elle tournait en boucle les questions sans réponse, les souvenirs non vécus. La mélancolie l’envahit, portée par la nostalgie de moments d’une autre vie. Elle ressentait cette prise de conscience soudaine de pouvoir toucher les étoiles avec lui, même dans la cathédrale, même sur l’ile. Elle sentait que le monde ne serait jamais plus pareil sans lui mais elle restait seule avec toutes ces questions qui frappaient à la porte de ses rêves. Elle se sentait pathétique, triste, vide, inutile et pourtant indispensable, malheureusement indispensable. Il lui fallait ressentir toute la tristesse des vies passées pour avoir une chance de se retrouver.
Elle ne voulait pas d’un adieu creux, elle ne voulait pas d’un adieu qui n’en serait pas un. Etre seule dans l’espoir d’un signe qui ne viendra jamais et ressasser sans cesse et mettre au centre des pensées celui qui ne veut pas y être et espérer encore, qu’il la cherchera. Elle rêvait encore, même au creux de son épaule, au moment où il reviendrait la chercher, où il viendrait la rattraper et effacer tous les jours passés sans lui. Elle voulait le retrouver dans ses jours, le voir dans ses nuits, le toucher dans l’éternité et l’aimer après les mondes, après les ras de marée. Derrière les naufrages, avant les incendies, au milieu des eaux profondes des autres mondes et des forêts renversées, se sentir partir en poussière et fondre dans ses bras pendant que le jour dévore la nuit comme Cronos, ses enfants. Et s’asseoir à la lueur d’une chandelle et rire, et boire, et se noyer dans ses yeux et chanter et danser des heures durant, sur tous les airs braillés dans les bars glauques de la ville.
Les arbres, les poissons, la faune et la flore seront les seuls survivants de la lumière venue d’en haut qui emportera son amour et le reste d’elle et elle rira et elle chantera et elle ne se souciera plus des guerres. Elle oubliera ses absences pour profiter enfin de sa présence, de son retour, de lui, enfin. Tout son amour et toutes ses douleurs seront une nouvelle cathédrale bâtie en l’honneur de son amour et de celui qui est parti en restant si présent. Les étoiles et la pluie, le soleil et le vent, la lune et la neige, la nuit et les montagnes s’uniront pour la porter enfin vers l’histoire qu’elle aurait dû vivre, l’emporteront vers la musique des anges qui la fera pleurer de joie parce qu’elle n’aura plus rien à gagner sauf prendre enfin cet amour qui s’offrira à elle parce que c’est ce que l’univers aura décidé pour elle, parce que c’est écrit, parce qu’elle s’était déjà inventées des milliers d’excuses pour rester elle-même, pour être toujours ce qu’elle croyait être.
Elle évitait toutes les aventures, toutes les histoires qui auraient pu l’impliquer, la contraindre, l’obliger. Elle avait rencontré trop de gens, croisé trop de personnes que, forcément, elle était passée à côté de trop d’histoires, de trop d’envies, de trop de vies et elle était passée à côté de lui. Elle le craignait, elle en avait peur, elle voulait juste se dire que rien n’était perdu, que rien n’était forcément mort, qu’une histoire comme celle-ci ne pouvait mourir sans avoir été vécue.
Elle le voulait parce que c’était lui. Elle aurait tant aimé pouvoir lui parler comme elle ne l’avait jamais fait mais les mots restaient bloqués, enfouis comme les trésors des navires antiques dans les eaux profondes des autres mondes. Elle aurait voulu savoir qui il était et lui dire à quel point elle le désirait mais elle n’arrivait pas à se libérer de ses propres chaines et elle sentait qu’elle finirait sa vie à le chercher encore.