Il ne neigera pas cet été et ce sera bien à cause du soleil

Chant 2  Marine et l’odeur du Tiep Bou Dièn
Grain 2  La vérité est au fond du trou normand ou du verre de Whisky
Chaque jour nous nous désaimerons plus que la veille, et chaque jour, tu croiras qu’il ne s’agit que d’une illusion, que d’un moment de faiblesse mais chaque saison qui passera drainera son flot de regrets, son retour de souvenirs. L’amour n’est qu’un grand ciel qui a besoin de ses nuages, il n’est qu’une terre infertile sur laquelle la pluie tombe sans que rien ne puisse jamais pousser. Et plus nous serons ensemble et plus tu apprendras à vivre sans moi. Et plus tu croiras m’aimer et plus tu t’éloigneras de moi parce à vouloir nous aimer, à vouloir notre monde, nous construirons notre propre prison. A vouloir être deux, à vouloir être moi, la force de notre amour ne fera que mourir.
De loin, d’en bas, du fond des âges, je t’observais, je te voyais et je savais déjà que je t’aimais tant que nous ne pouvions plus que nous désaimer. J’aurais des jardins cachés, des secrets, des larmes plus enfouies encore que tout l’amour que je pourrais te porter. Tu auras des silences, des oublis, des mystères balayés par les vents mauvais des jours sombres et les vagues emporteront ce que nous sommes et pourtant, je t’aime tellement que mon sang brule de cet amour. Il n’est qu’un océan qui ne survit que grâce aux fleuves qui se jettent en lui comme je voudrais que tes yeux se jettent sur moi et me voit enfin. Et j’ai besoin d’avoir mon radeau sur les flots comme il te faut ton bateau pour partir au loin, au hasard en restant toujours là parce que mon amour est trop fort pour que tu partes mais pourtant, nous nous désaimerons et chaque jour, nous rapprochera de la lassitude, de l’absence et de l’oubli.
Et oui, pendant que la vie touchera à sa fin, je dirai, malgré tout, encore, et à jamais, que je t’aime tellement que cette chaine là est plus forte que toutes les tempêtes, que tous les naufrages, que toutes ces journées à savoir à l’avance que déjà nous désaimerons.
Si déjà je suis pris au piège de ma propre passion, c’est que je sais que les levers de soleil sont plus forts que les couchers et que le début sera plus puissant que la fin. Je t’ai attendue, je t’ai cherchée, à me flageller et à verser mon sang, à me bruler et me consumant de l’intérieur mais je savais que je finirais par te retrouver pour vivre, enfin, ce que nous devions vivre, ce désamour lent qui n’est que ce que nous devons mourir en commun.
Le brouillard de nos vies n’est rien à côté de l’étoile que tu resteras pour moi. Et déjà, je sais qu’il faudra trouver des trésors pour que tu restes, trouver des mondes enfouis pour que tu ne partes pas et je n’en aurai pas la force. Alors tu resteras par dépit ou pire, tu partiras parce que tu ne m’aimes plus, ou pas finalement. Croire qu’on n’aime plus n’existe pas. On n’aime pas. L’amour n’est pas terminé, il n’a pas de limites, il est ou il n’est pas. Il n’y a pas de milieu, il n’y a pas d’arrangements. Il y a ce qui brule à l’intérieur ou ce qui ne brule pas.
Les ruptures sont douloureuses parce qu’elles sont un constat d’échec. Pas l’échec de la relation, pas l’échec de l’union mais l’échec de l’amour parce qu’il y avait dans le couple, un élément qui n’aimait pas. On peut se dire que l’élément faible n’aimait pas autant que l’autre mais il n’y a pas de degrés, il n’y a pas de températures. Il n’y a que ce qui existe. Le reste c’est l’habitude, c’est la routine, c’est l’ennui. C’est cette quête de l’autre qui, au même moment, ressent la même chose, la même poussée, la même envie qui donne du sens à la vie et c’est cette quête qui construit les pires souffrances, les pires trahisons, les pires mensonges.

Voleur d’ombres (4ème époque, Episode 13) Passaggeri del vento

Une lumière venue d’un ailleurs improbable traversait les vitraux de la cathédrale. Elle crut, un instant, que l’alcool ingurgité depuis des mois, fabriquait des hallucinations. Elle se promit, comme une évidence, de ne plus boire si tout cela finissait par être un peu réel. Couchée sur le sol froid, habillée comme une bohémienne des contes populaires, les cheveux au vent, les falbalas en désordre, comme si elle mendiait le soutien d’un monde céleste inconnu mais toujours présent, elle se désespérait d’être encore lucide.
Et c’est ce qu’elle était en réalité. Une attente, l’attente d’un monde qui viendrait la chercher et la mener ailleurs. C’est à travers toutes les blessures qu’elle s’était sentie auparavant, un peu vivante. C’est parce que les autres ne l’avaient pas vue, ne l’avaient pas entendue, qu’elle se voyait vivante. C’est parce qu’elle n’était qu’une plaie béante qu’elle se battait encore comme un diable dans sa boite. Elle avait été battue, frappée, humiliée mais pourtant, cela ne la touchait plus. Elle se sentait vivante à nouveau, plongée dans le regard de cet inconnu au dessus d’elle.
Elle se releva, ou au moins essaya. Il fallait qu’elle touche cette apparition pour la rendre réelle. Il fallait qu’elle sente sa présence, son odeur, son passage. Comme dans ses pires soirées, ses pires moments, elle ne trouvait pas l’équilibre. Elle titubait et sa tête semblait tourner sur elle-même à une vitesse vertigineuse. Elle perdait le contrôle qu’elle s’était efforcée, toute sa vie, d’avoir sur les choses et les gens. Elle sortait de sa boite comme les polichinelles qui continuent de tournoyer quand le couvercle de la boite est ouvert.
Elle avait l’habitude voir les étoiles se refléter dans les vagues qui léchaient le parvis de la Salute et d’attendre, ainsi, que les premiers rayons du soleil n’annoncent l’arrivée des premiers pénitents et la mise en place de mâtine. Elle restait ainsi comme si les minutes n’étaient plus que des secondes et les heures de brefs instants de bâillements. Elle se sentait comme jetée par-dessus bord d’un bateau navigant vers l’inconnu à découvrir, comme tombée d’un ciel perdu.
Elle voyait l’inconnu la fixer mais il semblait voir à travers elle. Elle aurait voulu s’approcher de lui mais la distance entre eux restait la même. Elle aurait voulu le sentir mais seuls les effluves d’encens flottaient encore dans la nef. Elle voyait ses lèvres remuer comme s’il psalmodiait mais elle n’entendait aucun son. Elle sentait pourtant sa main caresser ses cheveux et le frisson qui lui parcourait le dos n’était pas imaginaire. Elle ressentait sa présence mais il était loin. Elle sentait son souffle sur sa nuque mais elle ne l’entendait pas. Elle voyait son corps mais lui regardait au-delà d’elle. Il lui parlait mais la voix restait muette, sourde et pourtant elle pouvait sentir la chaleur de ses mots dans son oreille, la douceur de ses mains sur sa peau. L’image, la présence devenait floue comme le nebbia sur le gran canale, comme toutes ces matinées où elle avait traversé le brouillard matinal.
Elle se souvenait de ces matins où elle regardait les boites à musique dans les boutiques et les objets en verre de Murano ou les vendeurs de furlane ou de calcagnetti. Elle se souvenait des parfums des pincia, des bussolai ou des baicoli sortant des fours. Elle se souvenait de tout ce qu’était cette ville.
Et déjà, elle voulait lui dire de rester et de prolonger la nuit afin qu’elle la délivre de toutes ses blessures, de toutes ses plaies, de tout son passé. Elle était si proche de lui et pourtant tellement loin. Il était là et pourtant, il aurait pu être à Milan, à Rome ou même à Paris ou encore plus loin. Elle voulait l’appeler. Elle voulait l’écouter. Elle voulait glisser avec lui et tomber, tomber longtemps et tomber encore. Elle voulait qu’il reste et que le jour l’accompagne et qu’il la protège de tous les démons qu’il avait déjà brulés. Elle voulait que reste l’esprit qu’elle venait de rencontrer et qu’il reste à ses côtés même après.
Il n’y avait pas un bruit dans la ville à 5 heures du matin. Même la Salute était vide. Les indigents préféraient encore s’amasser dans les autres églises de la ville. C’était la cathédrale de la peste, c’était le monument aux morts. Il n’y avait pas un bruit et seule la lumière blafarde de la lune dans les vitraux et les pas sur le marbre de cette apparition sans nom venue d’un autre âge, d’un autre monde. Juste le son des semelles de bois frappant le sol du lieu saint et le battement des ailes invisibles de l’ange face à elle.