Les années passaient et rien ne changeait. Elle avait espéré que tout serait différent, que tout changerait mais elle avait beau regarder dans les mots et au travers des yeux de tous, elle avait beau écouter ces regards, sourire sous la pluie ou pleurer les jours de canicule, elle savait que ses essais ne seraient qu’échec. Pour chaque rêve qu’elle faisait, pour chaque espoir qu’elle construisait, elle perdait davantage que ce qu’elle pouvait imaginer.
Elle avait vu trop d’arrivistes. Elle avait dû sortir le fer et défendre un honneur qu’elle n’avait pas mais qu’elle avait construit à force de résistance et de refus. Elle avait vu des cartes e retourner, des deux de bâton et des dix d’épée qui finalement ne changeait rien au cours des choses. Trop de fois elle avait entendu des : « je t’aime » des « je te veux » et toujours, elle avait répondu : « Je ne peux pas » alors que tout son corps, tout son cœur, criaient : « je ne veux pas ».
Elle aurait voulu essayer les sentiments mais ils n’étaient pas faits pour elle alors elle s’efforçait de parler comme tout le monde, de trouver les mots enfouis dans les autres mémoires parce qu’elle ne voulait pas de cette guerre, elle ne voulait pas de cette conquête, elle voulait continuer à ne pas être d’accord.
Autour d’elle, tout était toujours sublime et même si ses rêves étaient toujours des cauchemars, ils étaient à elle. Les ponts, les places, les pavés renvoyaient à chaque instant la perfection de la création et de la volonté humaine mais pourtant elle restait triste, déçue, amère. Quelque chose, désespérément, lui manquait et ça n’était pas l’amour en soi. C’était simplement la force d’aimer. Plus encore que l’envie, il s’agissait réellement de la force. Elle en éprouvait le besoin mais elle ne se sentait pas capable de ça.
Elle s’était résolue à toujours vivre avec ce manque mais elle refusait finalement de donner les plus belles journées de ses pires années à cet autre qui ne ferait que dormir de son côté préféré du lit.
La salle couverte de terre battue exhalait ces parfums d’envie, de désir, d’emphase, de trop plein et à chaque sortie, elle aimait humer l’odeur de renfermé que toutes ces âmes portées au même endroit, au même moment avaient construite. C’est ce moment où elle sentait enfin qu’elle recevait l’amour qu’elle ne connaitra jamais. C’est cet amour là qu’elle voulait, qu’elle aimait. Elle savait que personne, jamais, ne lui dirait je t’aime comme cette salle lui criait, lui gémissait, lui chantait. Cette salle c’était son père, c’était toutes les personnes qui avaient cru l’aimer et qui n’auraient en réalité réussi qu’à laisser ici cette parcelle de sentiments pour qu’enfin, tout cela devienne un océan d’amour que seule, ce lieu pouvait encore lui envoyer.
Il fallait pour qu’elle ait sa dose d’amour qu’elle soit dans cette salle, quelle prenne ce que, sincèrement, les gens pouvaient lui donner. Elle avait vu défiler des dizaines de vies, de fictions mais à chaque fois elle trouvait une nouvelle splendeur qui lui prouvait encore qu’elle avait raison d’être là et de faire ce qu’elle faisait.
En son nom, pour sa mémoire, elle avait décidé d’aller jusqu’au bout. Au dessus du chambranle de la porte de son bureau, qui était aussi la porte de sa chambre, de sa cuisine, de ses toilettes et de sa vie, elle avait fait graver par les machinistes, une phrase qu’elle se répétait et que son père n’aurait pas reniée. Les gens viennent parce qu’ils ont économisé pour ça. Ils viennent pour rire, pour pleurer, pour se divertir mais ils ne viennent pas pour voir vos problèmes. Soit tu t’engages à te donner à fond, soit tu rembourses les honnêtes gens qui se privent pour toi. Il n’y a pas d’échappatoire, pas d’alternative. Soit tu es bon, soit tu es mort.
Elle s’arrangeait toujours pour que les personnes qui passaient dans ce lieu lisent cette phrase. C’était désormais sa devise et tout allait, dans sa vie, en ce sens.
Depuis que son existence se résumait à vivre pour maintenir vivante l’œuvre de son père, elle s’était construit un monde et des rituels. Il devenait difficile pour elle de sortir de son cadre mais son cadre n’était que totalement anarchique pour ceux qui l’envisageraient de l’extérieur. Il n’y avait plus en elle de place pour les désillusions, le désenchantement et la tristesse. Elle refusait dès lors toute forme d’engagement.
Elle se savait liée éternellement à ce lieu, à ses pierres et à ses vagues qui venaient lécher les fondations qu’elle ne songeait plus, à aucun moment perdre du temps dans un mariage, un enfantement ou une amitié tenace. Les gens passaient. Les hommes et les femmes laissaient quelques effluves de parfums épicés sur les rideaux ou les draps et partaient plus vite encore qu’ils n’étaient venus. Elle les chassait ou le plus souvent ils comprenaient que leur place n’existerait jamais. Il en allait de même et peut être même plus encore des femmes. Elle se forçait à supporter leur compagnie. Elle se forçait à supporter leur présence. Et, à l’exception de quelques moments orgasmiques fugaces, la présence féminine lui pesait.
Il en était finalement de même pour les hommes. Elle prenait plaisir à travailler avec les hommes qu’elle trouvait plus directs, plus efficaces, moins réfractaires mais une compagnie intime l’ennuyait rapidement, durablement, violemment.
En réalité, l’humain la fatiguait. Elle l’utilisait. Pour le sexe, pour le travail, pour l’argent, pour l’amour, pour ce que les autres appellent la vie, elle les utilisait. Elle ne s’en cachait pas, elle le revendiquait même. Elle n’avait pas le temps d’en perdre pour des histoires qui étaient par essence vouées à l’échec. Bien sûr, elle aurait aimé vouloir, elle aurait voulu aimer mais très vite, trop vite, elle avait ressenti l’absence de réalité, l’absence de profondeur dans les relations humaines.
Chaque nuit, elle sortait de son antre et parcourait les ruelles vides et escarpées, les ponts et les places. Parfois, au hasard de sa déambulation, elle entrait dans une des innombrables églises de la ville, et lançait une prière aux étoiles pour qu’elles prennent soin de son père. Quelquefois, elle glissait une pensée à sa mère qu’elle n’avait pas connue ou à ce frère qui n’était jamais venu. Elle respirait l’air chargé d’épices et d’odeurs maritimes. Les cliquetis des vagues se fracassant sur les berges lui rappelaient immanquablement les applaudissements après lesquels elle courait. Plus encore que les caisses pleines, elle consacrait ses journées à espérer les rires, les larmes et les marques que malgré ses réticences vis-à-vis de l’humain, elle estimait indispensables à sa survie. Elle se savait condamnée, elle se savait perdue.
Depuis toujours, elle avait gardé sur elle cette lettre. Elle prenait soin de trouver quelques instants, chaque jour, pour la relire. Avec le temps, elle la connaissait par cœur mais elle ne pouvait s’empêcher de regarder les pleins et les déliés combiner ensemble. Elle en connaissait évidemment les mots, mais aussi les ombres, toutes les peines, toutes les frustrations, tous les non-dits. Certains pensaient les comprendre, les entendre mais ils ne saisissaient en réalité que ce qu’ils voulaient voir et bien loin, très loin, de ce qu’elle contenait vraiment.
L’écriture semblait fluide, légère, alerte et lui renvoyait l’image de cet homme qui l’avait adorée. Elle revoyait à chaque fois le visage vieilli mais souriant de celui qui l’avait élevée, éduquée et qui lui avait tout offert. Il avait, avec ses défauts, ses faiblesses, comblé les absences de cette mère disparue trop tôt.
Il avait passé des jours et des nuits à regarder des spectacles, feuilleter des livrets, auditionner des comédiens et des auteurs, des jongleurs et des chanteuses et toujours, lorsqu’elle ne jouait pas avec ses amies, autour des puits, sur les places, à l’ombre des campaniles, elle était là. Parfois même, une fois les postulants sortis, il lui demandait son avis. Elle savait que c’était un piège. Elle devait argumenter, comparer, expliquer, développer et chaque fois que ses explications paraissaient trop floues, il marquait un temps d’arrêt, passait sa main sur le bas de son visage, affinait sa barbe déjà blanchie et lui chuchotait, comme s’il avait peur de réveiller les morts qui l’entouraient ou que les victimes entendent les propos : « Pense toujours que les critiques que tu fais, tu les fais comme si elles t’étaient adressées. Tu veux savoir pourquoi, tu veux comprendre, et les hésitations sont autant d’espoirs que tu laisses survivre. Ne laisse pas d’espoir quand il n’y en a pas. Les gens finissent par comprendre mais ils perdent trop de temps et le temps, personne n’en a assez pour en perdre. »
Finalement, il y avait peu de leçons qu’elle avait gardées en tête, en mémoire, mais l’idée qu’il fallait ne pas faire aux autres ce qu’on refuserait à soi-même fut vraiment ce qu’elle garda de ce père totalement absent et complètement présent. La gestion d’un lieu comme celui qu’elle dirigeait désormais, depuis la mort de son père, impliquait une absence dans tout ce que la vie peut proposer de personnel.
Chaque jour elle entendait les critiques que son mode de vie impliquait. Elle voyait les regards se poser sur elle et, même si elle aurait voulu les éviter, elle s’efforçait de rester droite, digne et forte. On ne négocie pas avec des morts de faim comme on négocie avec ceux qui croient te rendre service. Il lui fallait être forte et la lettre de son père reçue en héritage moral lui rappelait que rien ne lui serait jamais offert.
Elle était femme, orpheline, héritière et de son bon vouloir désormais dépendait la vie de plusieurs personnes. Elle était encore jeune et seule et sa position sociale, en dehors de sa beauté, attirait forcément les convoitises. Certains la trouvaient charmante, jolie même. D’autres insistaient davantage sur l’incapacité qu’elle aurait, seule, à diriger un tel lieu au milieu d’une ville aussi grouillante. Par bravade, en mémoire de son père, elle avait décidé de s’occuper jusqu’au bout de ce qu’il lui avait légué. Il avait consacré sa vie à cette œuvre au détriment de sa femme, au détriment de sa fille, au détriment de sa santé. Il aurait voulu être meilleur, être parfait, elle le savait. Il avait échoué, ils le savaient.
Il y aura des jours où tes larmes couleront d’être abandonnée, trahie, rejetée et ces jours là, n’oublie jamais que je marcherai avec toi, où que tu sois, où que tu ailles.
Il y aura des jours où mon absence sera plus lourde, plus forte et ces jours là, n’oublie jamais que quoique tu fasses, quoique tu croies, je suis une partie de toi et je ne pars pas.
Il y aura des jours où tu te sentiras moins forte et ces jours là, souviens-toi que je te donne toute la force qu’il me reste et celle que j’ai eue depuis toujours.
Il y aura des jours où tu te trouveras moins belle et ces jours là, sache que, pour moi, tu seras toujours la plus parfaite réussite de ce que les hommes ont pu créer.
Il y aura des jours où tu te croiras délaissée et ces jours là, pense encore que tu es tout pour moi et que tu seras toujours tout et plus encore.
Il y aura des jours où le monde te semblera vain et ces jours là, sache que le monde ne vaut la peine d’exister que parce qu’il te voit sourire.
Il y aura des jours où tu devras t’engager davantage que tu ne l’aurais voulu et ces jours là, dis toi que quelque soit ta décision, je te soutiens.
Il y aura des jours où tout ce que tu feras ne semblera pas être suffisant et ces jours là, rappelle toi de moi et de tout ce que je n’ai pas réussi à faire pour toi.
De tous ces jours où tu te sentiras seule, mal aimée, perdue, il y aura toujours à tes côtés, mes pas, mon ombre et ce qui restera de moi dans ton cœur.
Et si tu dois un jour vendre ton âme pour rester digne, pour demeurer fidèle à ce que tu es, n’oublie pas que mon âme t’accompagne et que tu peux la donner sans restriction.
Et quand tu douteras, quand tu perdras foi en toi, en l’autre, utilise moi comme cane pour accompagner tes pas et comme celui qui n’a jamais perdu foi en toi et crois en toi, en tout.
Malgré mon départ, malgré ma traversée de l’autre monde, malgré cette nouvelle vie sans toi, je ne peux me résoudre à te quitter, alors je serai toujours avec toi, tant que tu me garderas en ton cœur.
Tant que tu auras besoin d’un soutien, d’un regard, d’un mot, même si je ne suis plus là, je ferai ce que tu attends de moi et même ce que tu n’attendras pas.
Et même au crépuscule de ta vie, comme aujourd’hui au crépuscule de la mienne, appelle moi, pleure moi, convoque moi.
Si je n’ai pas toujours été le père idéal, si je n’ai jamais été le père idéal, je suis quand même celui qui t’aimera le plus au monde et jusqu’à la fin des mondes.
Et maintenant que je pars, n’oublie jamais que tu seras la plus belle chose du monde et que la seule personne qui compte dans ta vie et dans la mienne, c’est toi.
Fin janvier, l’historien Benjamin Stora a remis à Emmanuel Macron son rapport sur « Les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie ». Fin mars, lors d’un Mercredi de la NAR sur ce thème, nous avons reçu Cyril Garcia, professeur d’Histoire et Géographie et Omar Gousmi. Tous deux ont une connaissance approfondie du Maghreb. Nos deux invités nous proposent un compte rendu de cette conférence.
La première question qui se pose est celle du sens de cette démarche. Il est légitime en effet de s’interroger sur les motivations du Président français à demander ce genre de travail : à un an des échéances présidentielles, il semble évident qu’il y a des arrière-pensées à l’attention d’un électorat traditionnellement abstentionniste ou éventuellement de gauche, dans la perspective d’un second tour face à Marine Le Pen. Souhaité par Emmanuel Macron et complaisamment scénarisé par les médias, il pourrait toutefois être plus incertain que le précédent. On peut donc imaginer qu’après les dernières polémiques autour de l’islam et du communautarisme, les stratèges politiques de Macron souhaitent lui attirer les faveurs de l’électorat d’origine algérienne : il y a aujourd’hui en France environ 7 millions de personnes de nationalité algérienne ou d’origine algérienne, dont une grande part dispose du droit de vote.
Repentance et bouc-émissaire
Côté français, depuis la présidence de Jacques Chirac et le discours du Vel d’Hiv, il y a une volonté très marquée chez les Présidents de la République de légiférer sur l’histoire. Depuis qu’ils ne la font plus, les chefs d’État l’interprètent, cherchent même à la modifier en prétendant la rétablir, voire à la réécrire. Emmanuel Macron, par son âge, est le premier Président à n’avoir aucun lien, ni personnel, ni politique, ni familial avec le conflit : Jacques Chirac a été un courageux soldat dans l’Orannais, le père de François Hollande était pro-Algérie française et Nicolas Sarkozy a dû composer avec l’électorat Pied-Noir, notamment dans le Sud-est, comme l’a montré sa proposition de légiférer sur les bienfaits de la colonisation. Emmanuel Macron s’inscrit dans la continuité de cette « repentance » et souhaite incarner une génération, qui, à l’instar de celle des années 50 et des relations franco-allemandes, réconcilierait les deux rives de la Méditerranée. C’est oublier que les acteurs et les conflits sont totalement différents et ne s’inscrivent pas du tout dans la même Histoire. De plus, la plupart des acteurs et témoins « dans leur chair et leur vécu mémoriel » de cette guerre ont disparu, d’un côté comme de l’autre, et leurs descendants respectifs ne peuvent avoir la même réceptivité. Cette repentance factice et victimaire ne trouve donc plus personne à satisfaire.
Côté algérien, Tebboune, l’auto proclamé président algérien, continue, tout comme ses prédécesseurs, à prétendre souhaiter la paix tout en exigeant des excuses et une repentance unilatérales. Cet ancien maquisard est le prototype parfait du haut-fonctionnaire élevé au lait FLN qui, sans jamais critiquer le bilan des élites algériennes depuis 1962, cherche systématiquement à expliquer que les maux du pays sont dus à la colonisation française. Les Moudjahidins, jadis puissants, ont toujours soutenu le pouvoir en place, même durant la guerre civile. Ils sont écoutés et respectés, mais ne représentent pas, et de loin, tous les anciens combattants dont beaucoup, notamment en Kabylie ou dans les Aurès, ont été combattus par Alger dès 1963. Certains cadres comme Si Azzedine n’ont jamais exprimé la moindre critique envers la France. Les jeunes de l’Hirak, souvent francophiles, ont depuis longtemps repéré la ficelle grossière du bouc-émissaire. Enfin, la société civile, ainsi que la diaspora, formatées par l’histoire officielle, continuent à soutenir les discours francophobes du pouvoir tout en rêvant d’un visa pour la France. Une schizophrénie à l’image du grand écart pratiqué par les différentes politiques des deux pays depuis des décennies. Il ne faudra donc pas attendre de la part d’Alger et de la majorité des Algériens une quelconque complaisance pour un rapport qu’ils n’ont par ailleurs pas demandé.
On se trouve donc une situation qui montre des critiques des deux côtés de la Méditerranée où ce rapport est vivement critiqué. Il était biaisé dés le départ car basé uniquement sur une demande de Paris. Benjamin Stora, aussi impartial que soit son travail, a une image de gauche marquée au sceau du trotskysme et de l’anticolonialisme. Sa nomination au Musée de l’Immigration n’est d’ailleurs pas anodine. Les extrêmes (qu’ils soient de gauche ou de droite en France, qu’ils soient anti français ou plus nuancés en Algérie) ne seront jamais d’accord, ne se remettront jamais en question car leurs certitudes structurent leur existence politique, voir humaine pour certains. Leur religion est la non-culpabilité permanente. Il ne faut donc rien attendre de la part des nostalgiques du FLN, des réseaux Jeanson, de Raoul Salan ou du Bab-el Oued européen.
Et en ce qui concerne la France, la majorité de la population en a plus qu’assez des demandes d’excuses permanentes d’un pays et d’une population qui semblent exiger beaucoup de droits pour peu de devoirs et d’autocritiques sur leur système et leur rapport à la France. L’unilatéralité ne peut plus tenir. Le pétrole, le gaz, les boulevards haussmanniens à Alger ou à Oran, les structures de l’Etat, le dessin des frontières incorporant le Sahara, l’école des officiers de Cherchell, l’assèchement de la Miltidja sans oublier la bière Tango : il est d’une stupidité et d’une ignorance sans nom d’affirmer que la France n’a rien laissé. De plus, après 1962, la coopération des Pieds-Rouges (des coopérants Français, militants de gauche ou d’extrême gauche, qui se sont rendus en Algérie après l’Indépendance) dans le domaine de l’éducation et de la médecine a été fondamentale pour un pays très jeune. La colonisation a existé et il faut l’analyser avec toute la lucidité nécessaire. Mais on ne reste pas 130 ans sur un territoire en ne laissant pas de traces positives fortes et durables. En résumé, nous avons d’un côté, en Algérie, une population encline à accuser de tous les maux un pays qui, même s’il est loin d’avoir été parfait dans sa gestion de la colonisation et de son après, sert davantage de paravent ou de pare feu à l’incompétence des dirigeants locaux. De l’autre, en France, une population qui se retrouve prise dans un double discours extrémiste, à savoir d’un côté, une gauche prête à tous les compromis et toutes les acceptations au mépris des faits et de l’autre une droite, prompte à surfer sur les événements liés à l’insécurité, à l’immigration, à l’Islam et l’une comme l’autre, pour faire fonctionner leur clientélisme électoral.
L’immigration
Le rapport évoque également le lien qu’ont la France et son immigration algérienne, la seconde après la communauté portugaise. Que les discriminations existent, personne ne peut le nier, ce qui ne veut pas dire pour autant que l’Etat est structurellement raciste comme le prétend une certaine extrême-gauche. C’est certes une communauté qui connaît un chômage plus important que la moyenne nationale, bien qu’une classe moyenne se constitue et il faut s’en réjouir. Mais, encore une fois, la Marseillaise sifflée en 2003 au Stade de France ne peut s’expliquer, et encore moins se justifier, uniquement par des raisons sociales et encore moins religieuses. Le malaise identitaire est profond et depuis longtemps. Par ailleurs et contrairement à ce que certains affirment, aucune immigration ne s’est déroulée parfaitement, que ce soit les Italiens à Aigues-Mortes en 1893, les Républicains espagnols dans les années 30, les centaines de Polonais retournés dans leur pays sous le Front populaire…etc…Mais on ne peut nier que, malgré un racisme plus frontal, l’assimilation a été plus réussie, probablement parce que l’Etat, à ces différentes époques, était bien plus politique, que l’ascenseur social par l’école et le service militaire fonctionnait à plein régime et que l’industrie et les emplois existaient.
Depuis toujours, les difficultés de l’intégration ont existé. Les problèmes de mixité sociale ou de « vivre ensemble » sont indissociables des problématiques de politique intérieure. Cette population déracinée est très utile à certains exploitants de la misère humaine seulement soucieux de s’enrichir. Aujourd’hui encore, les clandestins trouvent des emplois pour survivre dans la restauration, l’agriculture ou le bâtiment. Ils sont exploités et sous payés. Régulièrement les scandales d’exploitations humaines font quelques entrefilets dans les journaux mais avec quelques amendes, ces affaires sont vite oubliées. Elles sont pourtant un des terreaux des difficultés actuelles et ceux qui y trouvent leurs comptes ont tout intérêt à ce que surtout rien ne change.
En enfin, n’oublions pas Giscard d’Estaing qui fait venir, par le biais du regroupement familial et en pleine crise pétrolière, des milliers de personnes issues d’une ancienne colonie libérée dans les conditions que nous connaissons : en effet, mélanger des anciens conscrits, qui n’avaient rien demandé, et des ex-colonisés arrivants dans un pays qu’ils ne connaissent pas, dans une même usine et un même quartier, est une idée qui ne pouvait que faire naître de fortes tensions et, à terme, des ghettos.
En conclusion, ce rapport, s’il part d’une bonne intention, n’est pas exempt d’arrière-pensées électoralistes. Par ailleurs, si une réconciliation est éminemment souhaitable, il est évident qu’elle ne pourra se faire sans un travail historique rigoureux sur les événements de l’époque et effectué par une équipe franco-algérienne d’historiens qualifiés et sérieux. C’est indispensable. Le fait que les historiens algériens n’aient été en rien consultés (mais le pouvaient-ils et/ou le souhaitaient-ils?) amenuise la portée de ce rapport. Ses conclusions, qui évoquent essentiellement la repentance de la France et des mesures exclusivement symboliques, montrent bien que, finalement, ce pan de l’histoire ne peut pas encore être traité avec le recul et la sérénité nécessaires à un tel travail. Que ce soit en Algérie ou en France, cette période de l’histoire contemporaine est toujours une plaie douloureuse et béante parce qu’elle est instrumentalisée d’un côté par le pouvoir algérien pour masquer sa propre incompétence et de l’autre par les extrêmes politiques dans l’espoir de grappiller quelques voix dans des élections dont la représentativité et la légitimité sont, chaque jour, de plus en plus discutables et discutées.
Mai 2018 : la LFP (Ligue de Football Professionnel) annonce triomphalement avoir cédé les droits TV nationaux de diffusion des matchs de la Ligue 1 et de la Ligue 2 pour la période 2020-2024 contre un montant annuel de 1,153 milliard d’euros, dont 780 millions censés provenir d’un groupe sino-espagnol, Mediapro.
Février 2021 : la Justice valide la rupture unilatérale du contrat par la LFP pour défaut de paiement de la part du groupe espagnol.
Les conséquences, sociales et économiques, de cet événement ne sont pas toutes actuellement visibles et pourtant, elles ne manqueront pas de se révéler. La crise sanitaire ne saurait tout expliquer à elle seule.
Il s ‘avère, en effet, que la LFP, comme hypnotisée par le montant proposé, a préféré accorder les droits de diffusion à un groupe financier qui n’avait comme seul objectif que de revendre, avec plus-value, les différents droits qu’il venait d’acquérir. Le hic, c’est qu’aucun diffuseur ne s’étant présenté, Mediapro, dont ce n’est pas le métier, s’est retrouvé dans l’obligation de créer sa propre chaîne de TV à péage pour pouvoir collecter des abonnements et diffuser les matches. Sans surprise, les abonnés espérés boudèrent le produit, comme une étude de marché sérieuse et rigoureuse l’aurait révélé si elle avait été réalisée. Le groupe s’est vite retrouvé dans l’incapacité de financer son achat et la LFP a du trouver en urgence un nouvel acquéreur/diffuseur. Il va de soi que cette urgence a placé celle-ci (et donc l’ensemble du secteur économique qu’est le football et notamment le monde amateur qui est sa base sociale) en position de grande faiblesse face aux acteurs solvables et expérimentés – évincés en 2018 – que sont Canal+ et BeinSport, les partenaires historiques du foot en France : ils ont ainsi récupéré, pour la moitié environ de la somme initiale, un produit qui a un vrai public, d’autant plus motivé que, pour l’instant, il ne peut plus accéder aux stades.
Tout cela n’aurait guère d’intérêt si les conséquences économiques et sociales n’étaient pas bien plus importantes qu’on ne le soupçonne au premier regard : ce sont les clubs professionnels (qui sont des PME avec des salariés) et les clubs amateurs de la France périphérique, acteurs qui jouent tous deux un rôle essentiel dans le lien social, qui se trouvent privés d’une ressource financière vitale. Nous y reviendrons plus longuement dans un prochain numéro.