Je restais allongé sur le sable humide, le bras levé, la poitrine compressée par toutes ces années. J’avais l’impression que le monde autour de moi s’arrêtait et que, moi, je continuais à flotter dans un vide instable. Je l’avais appelée à l’aide, je l’avais suppliée. Elle était restée sourde, dans son monde, dans son mépris. C’était cela la douleur qui étreignait mon cœur. Elle en sortait. Elle s’expulsait d’elle-même de moi en refusant, encore une fois, comme toujours, de m’aider quand je le demandais. Elle avait été présente quelques fois, mais toujours absente quand ça comptait, quand il aurait fallu. Une sorte de choix qui confortait l’idée de non retour. J’avais eu le fol espoir qu’elle ne me laisserait pas ainsi. Et maintenant, elle me quittait définitivement. C’était la fin de ce croisement artificiel forcé. J’avais essayé de la retenir, elle ne rêvait que de partir et elle partit. J’avais eu besoin d’elle, et comme d’habitude, et comme depuis toujours, en ces instants, elle n’était pas là, elle disparaissait.
Je savais que, désormais, je ne répondrai plus à ses signaux. Je ne relèverai plus les bouteilles à la mer lancées pour savoir si j’étais toujours sous influence. Sans doute l’étais-je, mais j’étais trop fatigué pour continuer à me soucier de choses ou de personnes qui ne savaient même pas que j’existais encore un peu. Faiblement.
L’opération dura quelques minutes. Mon corps se contorsionnait sans que je ne le comprenne ou que je puisse le contrôler. Mon esprit aussi semblait aspiré par une force supérieure. Tout moi rejetait cet amour à sens unique, cette mésaventure et c’était le point final. J’avais cru à un retour, j’avais cru qu’il y avait de vrais sentiments, j’avais cru aux promesses, aux serments… j’avais cru.
Désormais tout cela était mort. Sur cette plage, pendant que je me débattais contre une douleur inconnue, tout devenait une page blanche. J’oubliais ce passé qui, finalement, n’en était même pas un. Cette renaissance nécessitait un nettoyage complet et il avait lieu, enfin. Je passais à autre chose et la douleur était insupportable.
Je ne parvenais pas à crier. J’étais en nage. J’avais l’impression de me débattre dans les feux de l’enfer, pris dans un brasier permanent. Je me sentais rongé de l’intérieur, meurtri en surface, détruit de l’extérieur. J’aurai raté ma vie, j’aurai raté mes amours mais j’étais sur une page blanche. Je ne répondrai plus, je ne me montrerai plus, je ne me signalerai plus. Je disparaissais définitivement. Je devenais une fenêtre au travers de laquelle tout se verrait et tout se saurait. La vérité nue, crue. Je disparaissais.
Je ne voulais plus savoir ce qu’elle deviendrait, ce qu’elle ferait, avec qui. Elle avait choisi de me sortir de sa vie, je me devais de la sortir de la mienne. Je mis trop de temps à sortir de cette torpeur, à sortir de cette douleur. Je mis trop de temps à redevenir moi-même. J’avais manqué plusieurs mois de ma vie à l’attendre, alors que je n’existais plus pour elle. Encore une fois, je m’étais trompé, j’avais cru qu’il y avait quelque chose à part entre nous. La seule chose particulière dans cette histoire, c’est qu’elle était comme toutes les autres. Avec le temps, je l’oublierai, je passerai à autre chose; comme elle a su le faire et je rejoindrai James, sur son navire, vers l’au-delà. Et je rejoindrai Elisa, dans ses rêves d’un autre monde, où le cœur ne finit pas éparpillé, piétiné, nié par les sabots de celle qui n’en a pas.
J’avais réussi à rouvrir les yeux. Autour de moi, tout tanguait. La lumière blafarde m’empêchait de voir. Je sentais une chaleur dans ma main. Une sorte de tendresse, de force que je ne connaissais pas, que je ne connaissais plus. Le reste de mon corps était gelé, comme nu. Je sentais, j’entendais une effervescence autour de moi que je ne parvenais pas à identifier. Dans le brouillard, j’entendais une voix qui se voulait douce, rassurante. J’étais incapable de comprendre les mots, de voir le monde. Je naviguais dans un espace inconnu. Puisque je recommençais au début, je devais sortir du tunnel, vierge, pur.
Je devais seulement refuser de faire confiance, refuser de croire et ne plus compter que sur moi. Toutes les vérités sont bonnes à dire mais elles le sont encore plus à entendre. J’entendais autour de moi, le bruit et la fureur. Il m’était impossible de comprendre d’où venait ce vacarme. Je luttais en permanence contre le sommeil. Je m’endormais et me réveillais à intervalles réguliers. Le bruit ne cessait pas. La lumière ne baissait pas. Je tombais mais je luttais pour ne pas sombrer. J’avais enfin réussi à faire ma première mort, mais je ne m’étais pas tué et je restais vivant malgré tout.