Voleur d’ombres 18

Il fallait choisir une direction. Attendre que le tourbillon se calme, s’il se calmait un jour et choisir, décider et agir. Il n’était plus temps de réfléchir ou de s’interroger sur le sens des choses. Il fallait avancer et il n’hésita plus à aller de l’avant. Face à lui. Les premiers pas furent hésitants. Il était trempé. Il sortait du tourbillon de la vie. Désormais, il était nettoyé de tous les apparats. Il était nu. Libéré de toutes les affres matérielles, de toutes les contingences d’une société qu’il n’avait jamais comprise, il se sentait pur, nettoyé, neuf. Il ne pouvait plus faire semblant en rien et il le savait.

La lumière s’intensifiait au fond de la pièce comme un grand puits. L’image classique de tout chemin initiatique et de toutes les théories sur le bien-être et ce genre de choses auxquelles il n’avait jamais adhéré. Il avait toujours regardé ses philosophies comme des modes et il n’avait pas trop de respect ou d’intérêts pour les modes. Il jouait en ce moment autre chose que des lubies. Il jouait le sens.

Tout ce qui l’entourait devenait symbole, devenait valeur. La moindre image, le moindre détail de l’environnement portait des mondes de souvenirs ou de regrets, encore. Il décida de rejoindre la lumière parce que c’était là qu’il y aurait désormais la vie et rien d’autre.

Les murs se transformaient à chacun de ses pas. Ils passaient du boisé flamboyant au marbré délicat. Chaque pas changeait les œuvres, chaque pas changeait sa propre perception. Il se rappelait de toutes les excuses qu’il avait inventées pour faire les choses comme il en avait envie. Toutes ces façons de contourner les obstacles, de faire les choses à sa façon et d’éviter de plonger, de se jeter dans le grand bassin. Toutes ces maladresses qui lui avaient permis d’éviter de grandir, de devenir adulte puisque c’était si important d’être adulte et qu’en réalité, comme tous, il ne voulait pas être adulte. Il voulait être lui mais il n’avait jamais pu.

Contraint par ce que les autres l’obligeaient à faire de lui-même, contraint par ce besoin de plaire, cette peur de la solitude et de l’abandon, ce besoin d’avoir une autre pour se sentir vivant. Il avait tout subi à force d’éviter et là, il lui fallait faire. Alors, les hésitations, les doutes, les manques d’habitude revenaient et le submergeaient.

A présent, il savait qu’il lui fallait plus encore que toutes ces personnes croisées et jamais rencontrées, vues mais jamais regardées. Il lui fallait s’affronter lui-même pour vivre enfin ce désir contenu en lui de la femme aux yeux verts. Il devait se regarder lui-même dans les yeux et s’avouer ce qu’il était et ce qui disparaissait. Il ne pouvait plus se satisfaire de se dire qu’il voulait, même si ce désir lui brûlait les pores de la peau. Il était temps d’assouvir, d’affronter.

Jusqu’alors, il avait suffi de chanter ou danser sous la pluie pour éviter d’être. Il avait suffi de croire que persuader les autres suffisait pour exister et qu’il n’avait plus besoin de lutter pour être écouté. Il suffisait de puiser en lui-même, en son cœur, pour ne pas demander d’amour. Il s’était mis de lui-même en marge de tous ces sentiments. Il en avait assez d’attendre une improbable venue pour le changer.

Il arrivait à ce qu’il croyait être la fin de la pièce. Le mur face à lui n’était qu’une immense clarté. Ni porte, ni fenêtre, seulement cette lumière éblouissante, confortable. Autour de lui, les marcheurs se multipliaient et prenaient des visages différents à chacun de ses regards. Transformés par sa propre opinion, par ses propres yeux.

Tout était en mouvement perpétuel mais tout demeurait sublime, divin, irréel de beauté et de félicité et pourtant, il en voulait encore plus. Il fallait qu’il aille dans cette clarté, à travers, de l’autre côté. Qu’il sache ce que cachait ce monde. Il le voulait au moins autant qu’il avait désiré la femme aux yeux verts. Il avançait dans la lumière et ne rencontra aucune résistance. Son désir était plus fort, trop fort.

Fonctionnaires (partie 9) – La semaine politichienne de Smig

Il n’était pas facile de changer de voie, de changer de vie. Elle sentait sur elle le poids d’une pression inconnue. Le poids insupportable des attentes venues d’ailleurs, venues des autres. Plus fortes encore que les concours, les diplômes, il s’agissait là de l’examen de sa vie. Elle ne savait pas quoi faire finalement. Elle s’habilla. Elle ne savait pas trop ce qu’elle allait faire pour fuir cette vague de mélancolie qui la submergeait.

Il n’était pas si facile de partir, de tout quitter, pour tenter autre chose, ailleurs. Elle sortit de chez elle sans trop savoir où tout cela la mènerait mais elle suivait désormais ses intuitions. Son rêve d’absolu s’achevait en fait. Elle emportait avec elle sa mélancolie, loin. Une tristesse venue de nulle part et qu’elle ne savait pas maîtriser, comme si elle savait concrètement que quoiqu’elle fasse, quoiqu’il se passe, elle ne changerait rien. Elle ne construirait pas ce monde meilleur qu’elle avait rêvé et construit des centaines de fois, des dizaines de nuits sans sommeil.

Il n’était pas si facile de penser changer le monde et constater l’échec. De partir et ensuite mourir dans une autre vie, une autre situation. Il lui aurait fallu changer toutes ses habitudes, changer de nom, changer de profession mais cela demandait tellement d’efforts de construire ce monde meilleur. Mais elle voulait se croire libre même si cela coûtait cher, très cher. Elle voulait croire que tout était possible que tout pouvait se construire autour de ce monde meilleur.

Il n’était pas si facile de traverser la rue au milieu du vacarme et des accidents, des accrochages et des insultes. Quelques regrets, quelques souvenirs retenaient toujours à l’endroit de départ mais elle savait maintenant que le monde meilleur ne se construirait pas sur les ruines du précédent. Il fallait reconstruire, faire à nouveau. C’était l’heure de partir, elle venait de sonner et plus rien ne servait de revenir en arrière. Ce jour devait être celui de sa gloire, il sera finalement celui de son départ.

Elle s’était mis du rouge sur les joues et du rouge sur les lèvres pour se convaincre qu’elle était une nouvelle elle. Elle ne voulait pas d’un retour, il lui fallait partir et comprendre que c’était la fin.
Il n’était pas si facile de finalement croire que ce monde meilleur, finalement existerait alors qu’elle avait passé sa vie à subir celui-ci. Le sens de sa vie n’avait été jusqu’ici qu’une répétition permanente. Une boucle sans fin. Mais aujourd’hui, plus fort qu’elle, la boucle venait de se rompre. Elle avait mis ses plus beaux bijoux et son parfum le plus cher pour rompre les habitudes, les routines pour enfin croire qu’il puisse exister ce monde meilleur.

Elle entra dans son parking. Tout était calme, silencieux, paisible. Le néon clignotait comme font tous les néons de tous les récits. Les voitures étaient parfaitement alignées comme une allégorie de cette vie si rangée, si propre, si cadrée. Chacune posée dans son espace prévu et délimité, sans jamais mordre sur les lignes, sans jamais dépasser, en attente. Elle entra dans sa voiture qu’elle utilisait si peu mais il fallait en avoir une comme une évidence d’un mode de vie qui n’était pas le sien mais aujourd’hui, cette voiture devenait l’outil indispensable à sa liberté parce qu’elle voulait enfin essayer d’être libre même si elle savait que ça coûterait cher.

Elle avait mis sa plus belle robe comme pour se sentir irrésistible, inattaquable par ce nouveau monde qu’elle allait affronter et dans lequel elle entrait de plein pied. Elle démarra, ouvrit en grand les fenêtres avant, et lança la musique aussi fort que ses enceintes pouvaient supporter. Ce qu’elle s’était toujours interdit de faire commençait par ça. Libérée de ses chaînes, elle oubliait ce qu’il restait d’elle. Elle jeta son téléphone qui se fracassa contre le mur. Rompre avec cette vie qu’elle estimait ratée et se lancer à corps perdu dans l’inconnu, dans ce monde meilleur.

Voleurs d’ombre 17

Il ne pouvait être plus seul qu’en cet instant finalement. Plongé à la fois dans un océan furieux, dans une pièce gigantesque, pleine du vide de vies qui ne le touchaient pas et dans les bras d’un fantôme. Pourtant, il se sentait plus vivant désormais que dans n’importe laquelle de ses relations. Il avait toujours dû faire attention à ce qu’il disait, à ce qu’il faisait.

Toutes ses relations lui avaient appris à rester sur ses gardes. Il ne s’était jamais senti libre d’être celui qu’il était vraiment. On lui avait dit et répété qu’il fallait qu’il soit lui-même et pourtant, ce qu’il était, ne recevait que reproches, crises, ruptures. Alors, avec le temps, il comprit qu’il devait être ce que l’autre voulait qu’il soit finalement.

Elles maintenaient qu’elles ne voulaient pas le changer pourtant, toutes avaient essayé de faire de lui, l’être idéal façonné selon leur goût, leur projection, leurs envies. Son humour ne plaisait pas, il se taisait. Son détachement sur les choses et les gens désespéraient, alors, il faisait attention à toutes ses interventions.

Son désir n’était jamais approprié, alors il le contenait et gardait pour lui toutes ses envies. Forcément, à ne pas se sentir aimé, à ne pas pouvoir être libre, à se sentir engoncé dans des principes qui, en plus, n’étaient jamais les siens, il dérapait. Il acceptait les ordres, les demandes, les insistances qu’elles nommaient « conseils » et il essayait d’y répondre mais il était contraint.

Il ne vivait pas ce qu’il voulait vivre. Il vivait ce que l’autre lui imposait. Forcément, chaque remarque devenait une attaque personnelle et chaque mot prenait un poids, sans doute, surévalué mais, à force de chercher à plaire, à ne pas être abandonné, il prenait tout à cœur. En réalité, il ressentait que pour l’autre, rien n’était jamais léger. Tout était lourd, important, urgent et rien ne pouvait être considéré comme anodin comme si on attendait de lui une excellence permanente, alors qu’il ne voulait qu’être lui-même. Il savait désormais que tous ses échecs venaient de cette propension qu’il avait de toujours trouver la personne qui promettait de l’aimer pour ce qu’il était et qui s’empressait de vouloir impérativement le changer.

C’est peut-être pour cela qu’il se sentait bien, en cet instant. La tempête ne lui demandait rien. Elle faisait ce qu’elle voulait de lui et, comme il l’avait vécu toute sa vie, il laissait cette force supérieure le diriger. Les personnes dans la salle qui vivaient en tous sens, tout autour de lui, ne lui demandaient rien. Elles vivaient leur propre vie qui ne semblait pas avoir de consistance mais en tout cas, elles ne le concernaient pas. Chacun faisait son chemin et il n’était obligé de s’impliquer dans des vies qui ne voulaient pas de lui ou de modifier son propre être pour des lubies et des principes.

La femme aux yeux verts l’embrassait sans rien demander, sans rien imposer, sans rien exiger. Il ne connaissait pas cette sensation de liberté totale. Là, ici, en cet instant, il ne devait rien à personne. Ni à la nature, ni aux hommes, ni à la femme qu’il rêvait d’aimer et qui l’embrassait avant de disparaître.

Il lui fallait reprendre sa route. Traverser cette pièce, sortir du tourbillon, rompre le baiser et essayer de trouver dans cette mer et dans cette nuit sombre quelle étoile était celle qui était partie et, peut-être même, toutes les autres parce qu’il ne pouvait se résoudre à tuer ses sentiments. Il ne savait pas comment elles réussissaient à faire comme si rien n’avait existé, comme si le lien n’avait jamais existé, comment elles pouvaient passer de l’autre côté du mur sans voir ce qui se brisait, ce qui mourrait, ce qui allait disparaître à tout jamais.

Il se raisonna, il savait que ce qu’il ressentait n’était pas partagé mais il n’arrivait pas, en fait, à comprendre comment cette idée n’était pas partagée. Il ne comprenait pas ce mensonge, il ne s’était jamais résolu à le comprendre finalement. Il en allait ainsi de sa vie, entre faux baiser, tempête et le sentiment de n’être rien au milieu de l’immensité.

Il était figé, au centre de la pièce, et les murs tournaient autour de lui. Tout était semblable, tout était différent. Il ne savait plus d’où il était arrivé ni où il devait aller. Il n’y avait plus de tempête, il n’y avait plus de baiser. Il était juste seul, au milieu d’une foule immense, dans une salle somptueuse d’un palais en ruine. Et ça valait tout l’or du monde et toutes les aventures de l’histoire.

Voleur d’ombres 16

Les images se bousculaient entre songe éveillé, fausse réalité et désirs enfouis. Il était, à la fois, sous l’eau à perdre connaissance, et, en même temps, dans une salle sublime et divinement décorée, d’un palais sous les eaux qu’il avait pleurées et enfin, il embrassait une sorte de succube forcément venue d’ailleurs, d’un monde irréel où tout se confondait. Et, pour la première fois, il se surprit à vivre l’ubiquité.

La tempête faisait rage désormais et la quantité de souvenirs qui s’abattait sur lui et le malmenait, semblait même croître. A chaque fois, qu’il pensait trouver une alternative, les vagues redoublaient de violence et de force. Tout était sombre. Tout était lourd. La nuit semblait être apparue en quelques secondes. Il ne voyait plus rien alors que tout était éblouissant la seconde précédente.

Il savourait le baiser improbable d’une femme qu’il n’aimait pas. Il aurait voulu l’aimer mais il savait qu’elle n’existait pas. Malgré sa volonté de profiter, de savourer, il savait qu’autant d’amour dans un baiser n’était pas une chose pour lui, que cela n’existait pas, que ce n’était qu’un leurre, une construction de son imaginaire. Il voulut y croire parce que, depuis toujours, il l’avait espéré mais ce qui lui restait de raison, le rappelait sans cesse à la dure réalité. Ce type de moments, cette folie amoureuse, cette effusion de sentiments, tout cela lui était interdit. Il y avait cru, plusieurs fois même, et, chaque fois, l’absence de réciprocité lui rappelait que ce n’était pas pour lui. Pas dans cette vie.

Il avait voulu aimer mais il ne l’avait pas été en retour. Pas comme ça. Pas comme un vrai don de soi, pas comme un sacrifice, pas comme un absolu. Il avait été aimé par des personnes qui donnent le change, des personnes pour qui il n’y a pas de honte à se promener avec lui, mais rien de plus. Pas trop immonde à regarder, plutôt intéressant dans l’échange.

Le genre d’homme qui obtenait la moyenne en tout et qui, finalement, était remplaçable par n’importe qui d’autre, n’importe quand, n’importe où. L’élève moyen d’une année scolaire sans éclats et dont on oublie le nom au moment même où retentit la sonnerie de la fin de l’année. Pas insipide mais presque, pas insignifiant mais oubliable. Juste un dans une multitude, dans une foultitude.

Il avait traversé des tempêtes sous un crâne qu’il retrouvait en ce moment en vagues éternelles. Lui, on ne l’adorait pas, on l’aimait bien. Oh, bien sûr, certaines avaient prétendu le contraire mais elles aussi, malgré les larmes, les cris, les effusions, elles avaient oublié, tourné la page, étaient passées à autre chose, à d’autres hommes, à d’autres vies.

Et définitivement, ce n’était pas ce type d’amour là qu’il voulait vivre. Il voulait être mémorable ou rien comme d’autre voulait être Chateaubriand, lui, il aurait voulu être Roméo ou n’importe qui pouvant se targuer d’avoir été aimé. Il avait voulu être aimé, il n’avait pas eu cette chance alors ce baiser devint une perfection divine parce qu’il y sentait tout l’amour qu’il n’avait jamais reçu.

Les murs de la salle étaient en bois finement sculpté. Les formes et visages modelés dans la matière semblaient vivants et même, paraissaient disserter les uns avec les autres. Les lustres de cristal renvoyaient à travers toute la pièce, les rayons du soleil qui brillaient de tous ses feux. La tempête emportait la nuit et la salle du palais amenait un soleil brulant d’été. La splendeur de ce lieu n’avait d’équivalent que le divin du baiser de cette femme utopique et de la violence de la tempête dans laquelle il se noyait.

Voleur d’ombres 15

C’était la première fois qu’il recevait un baiser et qu’il en appréciait l’idée. Jusqu’alors, il s’était obligé à en donner et il n’en recevait que sous la contrainte. Sans doute que son aversion pour cela expliquait ce manque. Il avait toujours pensé que le partage d’un baiser était une part d’intimité bien plus forte qu’un acte sexuel. Il savait bien que cette pensée était contre nature ou, au moins, décalée par rapport à la pensée dominante mais pour lui, embrasser, signifiait un engagement de l’âme alors que le sexe n’était qu’un engagement du corps.

Surpris de ce baiser, il n’avait pas fermé les yeux, se noyant dans ceux de cette inconnue qui ne les fermait pas non plus. Il profitait de la magie de ce baiser pour se souvenir à quel point cela pouvait être doux, beau, et à quel point il avait raison de se dire qu’un baiser valait beaucoup plus qu’autre chose. Il ressentit au plus profond de lui, un souffle de vie. Comme si ce baiser amenait, à nouveau, tout l’espoir du monde de trouver le bonheur. Cette quête perpétuelle et également partagée par tous.

Il se vit soudain, sous les eaux, étouffant, les poumons pris par la tempête. Il se retrouva dans le tourbillon qu’il avait évité plus tôt. Ce torrent de larmes, ce tsunami de pleurs, cet océan de souffrances qu’il avait ravalé, enfoui, oublié, lui tombait, enfin, dessus.

Il voulait nager mais les vagues, le courant et la fureur des flots l’entrainaient de part et d’autre, sans qu’il puisse se débattre. La puissance de l’eau, tout comme la puissance du baiser, le désarmait. A bout de force, il accepta de lâcher prise. Il ferma enfin les yeux. Il tournait et tournait encore dans un déluge de félicité et de paix. Il sentit deux mains se poser sur ses joues. Le baiser durait et il en voulait encore. La paume des mains sur sa peau lui rappela la main sur sa nuque. C’était elle, elle était revenue pour achever son œuvre.

Cette reconnaissance le soulagea. Il était en confiance. Elle était là.

Il était transporté par les vagues de sentiments qui le chahutaient et l’éjectaient telle une poupée de chiffons mais il ne tenta rien pour se débattre. Il acceptait ce baiser et toutes les conséquences. Il acceptait le naufrage et la tempête. Il acceptait cette fin de vie qui n’était qu’un renouveau. Le début d’une ère inconnue et d’un monde à conquérir et à construire. Il sentait à nouveau les muscles de son corps et, bien que sans résistance, il reprenait figure humaine. Il redevenait humain à mesure que le fluide de vie passait par ce baiser.

Elle était désormais sa force, sa vie, son besoin, son essence. Elle n’était qu’une ombre passagère et furtive dans son horizon mais elle était l’essentiel. Déjà bien plus importante que la plupart des rencontres de sa vie alors qu’elle n’allait être là que quelques instants. Il le sentait, il le savait. Elle ne resterait pas parce qu’elle n’était qu’un mirage, un songe, un murmure. Un baiser.

Il aurait voulu la prendre dans ses bras, la toucher, la caresser mais il se dit que ce désir, s’il devenait réalité, allait briser la magie de ce moment. Il voulait croire qu’elle était là, réelle, vivante et soufflant la vie en lui. Ce souffle qui lui permettait de ne pas succomber d’asphyxie sous les eaux. Elle le maintenait en vie et, plus encore, elle le renforçait et le remplissait. Elle serait désormais la seule chose qui pourrait le faire avancer puisqu’elle était la seule capable de le faire vivre.

Voleur d’ombres 14

Les lames du parquet lui rappelèrent qu’il n’était pas chez lui, qu’il n’était pas dans son élément et qu’il ne contrôlait rien des événements. Il subissait même s’il voulait croire que tout venait de lui et de son imaginaire.

La foule ne le considérait pas. Chacun vaquait à ses obligations sans voir que, maintenant, au centre de la pièce stationnait un Jésus improbable.

Il ne se souvenait pas avoir marché jusqu’à cet endroit. Il n’avait aucun souvenir des effets de mobilier qu’il vit lorsqu’il se retourna. Les objets de décoration ou de charpente regorgeaient encore de splendeurs qu’il avait négligées.

Il voyait derrière lui des colonnes de marbre surplombées d’énormes jarres en cristal de Baccarat et pleines de fleurs aux couleurs éclatantes et aux senteurs douces et sucrées. Tout était couleurs chatoyantes et formes esthétiques. Rien ne semblait laid et ce qui aurait pu paraître laid pour certains devenait une beauté mémorable à ses yeux.

Les tableaux gigantesques semblaient tenir contre les murs de manière magique, incompréhensible. Ils n’étaient pas fixés au mur, ils paraissaient flotter dans l’air et peut être même qu’en réalité, ils se déplaçaient dans la pièce. Plus encore que l’éventuel déplacement des cadres, c’est sur la toile que les actions s’animaient.

Les scènes de bataille donnaient même l’impression que des océans d’hémoglobine allaient envahir la pièce alors que les scènes de naufrages annonçaient de violentes tempêtes dans les ruines. Tous les tableaux allaient achever les actions décrites au milieu de la pièce et les portraits allaient relâcher les individus momentanément piégés.

Il semble que, en réalité, toutes les personnes qui naviguaient de manière alerte au milieu des autres et au milieu des merveilles n’étaient en réalité que des images décrochées des cadres, des tentures ou des statues. Elles semblaient trop belles pour n’être que des êtres de chair. Elles portaient en elles des univers de beauté qui ne pouvaient être réelles. Elles n’étaient qu’illusion, forcément.

Les badauds le bousculaient, l’évitaient mais il restait subjugué par les beautés qui l’entouraient. Il ne faisait pas attention aux personnes. Il se sentait enivré par tant de beautés qui sortaient de partout. Les murs, les tableaux, les meubles, les fleurs, l’air même, semblaient vomir du sublime. Tout dégueulait le beau, le pur, l’immaculé. La musique continuait de résonner au fond de la pièce et il savait qu’il lui fallait la rejoindre.

Il se retourna, armé d’une conviction et d’une énergie plus forte pour atteindre ce nouveau but. Il tomba nez à nez avec une femme vêtue d’une longue tunique pourpre. Sous son capuchon, deux yeux verts émeraude scintillaient et délivraient un message d’espoir. La vie était là, dans ce regard. Le monde des vivants, des envies, des rêves devenus réalité étaient là.

Il resta prostré, interdit, condamné à l’immobilité par la puissance de ce regard. Elle leva les mains. Sa peau était cuivrée, chaude. Elle ôta son capuchon et laissa apparaître des cheveux noirs de jais, longs, soyeux. Sans être coiffés, ils tombaient en de fragiles fils sur ses frêles épaules. Elle releva davantage la tête et ses yeux le fixaient sans jamais dévier ou cligner. Ils étaient d’un vert inconnu. Une couleur à la fois chaude et inquiétante mais il ne parvenait plus à se décrocher de ce regard. Ses traits étaient fins.

Ils se fixèrent quelques secondes qui parurent des millénaires. Sans jamais le lâcher du regard, elle l’embrassa. Un de ces baisers dont on rêve et qui n’existe jamais. Il ne pouvait fermer les yeux. Il était comme aspiré par ce regard. Il sentait qu’il se noyait et il adora cette sensation.

Voleur d’ombres 13

 

Chacun de ses pas ouvrait sur un nouveau monde. A chaque fois, il découvrait une autre merveille qu’il n’avait pas vue. Ses yeux n’en pouvaient plus de voir tant de chefs d’œuvre réunis en un espace si réduit. Être resté si longtemps les yeux fermés, rendait chaque objet magique et unique mais il préféra considérer qu’il était bien dans un monde construit par son imaginaire et qu’ainsi, chaque élément de ce décor lui semblait être parfait.

Il s’arrêta sur les serveurs ou les diplomates. Sur les gens. Il ne put s’empêcher de les trouver beaux. Homme ou femme, ils dégageaient tous un charme particulier. Une douceur pour certains, une force pour d’autres mais une caractéristique, qui faisait que, chacun dégageait une aura spéciale. Ils n’étaient pas les gens de son quotidien. Ceux qu’ils croisaient au boulot, dans les transports ou à la boulangerie. Ils avaient manifestement quelque chose de plus, quelque chose comme un puissance venue d’ailleurs qui leur donnait ce petit plus indescriptible qui fait qu’on pose le regard ou pas.

Il avait perdu sa vie à passer à côté d’inconnus sans jamais les voir et a fortiori encore moins les regarder. Il comprit que, encore une fois, il avait manqué l’essentiel. Qu’à ne pas regarder celui qu’il ne voulait pas voir, celle qu’il ne voulait pas remarquer, il avait raté l’essentiel. Toutes ces personnes qui parsemaient son quotidien et dont finalement il ne savait rien, parce que cela ne l’avait jamais intéressé.

Il s’imagina toutes les vies qu’il n’avait pas vues, qu’il avait ignorées et qui l’ignoraient en retour. Il se rassura en pensant que toutes ces âmes errantes, elles non plus, n’avaient pas cherché à le rencontrer.

Il se tenait debout, droit. Il essayait d’avoir une constance et peut être même une prestance. Il savait qu’il était vêtu comme un quidam au milieu de cette opulence de soie, de cachemire ou de tissus dont il ignorait l’existence. Il regarda parce qu’il y avait longtemps qu’il n’avait pas pris conscience de lui-même.
Il était désormais vêtu d’une triste tunique grise et la caricature des mendiants des temps jadis. Une pâle copie des représentations du Christ sur les tableaux de la Renaissance.

Ses cheveux étaient longs comme ils ne l’avaient jamais été. Alors qu’il avait toujours mis un point d’honneur à être chaque jour rasé de près, il portait une longue barbe mal taillée. Il refusa de se voir dans un des miroirs accrochés sur l’un des murs parce qu’il avait peur de se détester. De détester l’image qu’il verrait de lui. Il tenait à conserver une once d’estime de lui-même. Il ne savait pas ce qui l’attendait mais ce saut dans l’inconnu l’obligeait à rester digne.

Il chercha à confondre les deux images qui se superposaient en lui. Cet aspect mystique, médiéval, sale, pur qu’il arborait et le visage de toutes les personnes des beaux quartiers qu’il croisait tous les jours, sans les saluer, ni les connaître, ni les reconnaître ou même sans s’en soucier. Il se dit que finalement, son aspect n’aurait pas changé grand-chose à l’indifférence qu’il montrait en temps habituels et à celle qu’il subissait. Il préféra, à cet instant, ignorer sa vie d’avant. Elle ne serait de toute façon, jamais aussi belle que celle qui semblait vouloir s’offrir à lui maintenant.

Voleur d’ombres 12

Soudain, il se souvînt que la main avait disparu, que sa nuque n’était plus caressée et qu’il n’avait même pas vu l’être qui l’avait maintenu en vie. Il s’en voulut, encore, d’être passé à côté, de manquer une nouvelle fois, la beauté d’un moment. Il ne savait absolument pas ce qu’il devait faire.

Tout était trop grand, trop grandiloquent pour lui et il ne se sentait plus dans son monde. Cette opulence qui explosait tout autour de lui, l’intimidait.

Sur les deux murs, d’immenses toiles représentant des scènes de bataille ou de couronnement se mêlaient avantageusement à des portraits en cape de rois ou de princesses, ou des scènes mythologiques qu’il ne saurait reconnaître.

Il chercha du regard autour de lui, assis sur son trône, la main magique ou plutôt, ce qu’il envisageait pouvoir être la main magique. La disparition avait été trop subite, trop inexplicable pour qu’il l’accepte.

Une foule effervescente grouillait autour de lui sans que personne ne lui prête la moindre attention. Des serveurs courraient partout avec une agilité rare dans le port des plateaux d’or, des personnes apprêtées et richement vêtues déambulaient nonchalamment des papyrus ou des palimpsestes à la main. Rien qui ne ressemblait en tout cas au papier contemporain.

La foule était totalement bigarrée. Toutes les origines, toutes les tailles, hommes ou femmes. Il était toujours incapable de savoir où il était, dans quelle partie du monde ce monde à part pouvait se trouver. Il fallait qu’il entre dans ce monde, que d’une manière ou d’une autre, il participe, il vive ce moment.

Il se leva. Sa chaise était posée sur un palier de trois marches. Debout, il surplombait l’intégralité du lieu. Un couloir immense, infini, éclatant de lumières et surpeuplé de monde qui bien que se parlant, s’invectivant, s’appelant, ne faisait pas de bruits. Pas suffisamment pour couvrir la musique divine qui, maintenant, venait du bout de la pièce.

Il pensa, il crut, il comprit que la main invisible, que le toucher divin qui s’était posé sur lui accompagnait la musique. Peut être même que cette main était le chef d’orchestre de cette symphonie ou l’une des musiciennes mais clairement, cet être inaccessible appartenait à la musique.

Mû d’une énergie dont il ne se croyait plus capable, il descendit les marches de marbre rose. Il se retourna et contempla la majesté de la chaise et de la table qu’il venait de quitter. Elles n’avaient plus rien à voir avec le mobilier qu’il avait trouvé dans la petite demeure perdue dans la ruelle hors des avenues. Elles étaient devenues des meubles d’une valeur inestimable.

Il était, en tout cas, totalement incapable d’estimer la valeur de ces objets mais leur magnificence lui fit penser à des œuvres d’art légendaires dont personne ne pourra jamais proposer une valeur parce qu’elles dépassent le cadre du matériel. Cette table et cette chaise, aussi banales furent elles à son arrivée, devinrent des pièces que les plus beaux musées du monde se seraient arrachés.

La fatigue, la difficulté de mobiliser l’énergie nécessaire pour ses muscles, la peur de découvrir des choses qu’il ne voulait pas voir et la découverte d’un lieu si étrange, donnaient à ses pas une démarche hésitante. Pourtant il avait décidé de retrouver cette main et aucune force ne lui paraissait apte à l’en empêcher aujourd’hui.

Voleur d’ombres 11

La chaleur de cette main douce sur sa nuque le tenait éveillé. Enveloppé qu’il était par la protection de la musique, il aurait pu facilement tomber dans le sommeil. Un sentiment de plénitude l’envahit. Tout semblait parfait. Au loin résonna un aria chanté par une voix cristalline d’enfant et qui complétait parfaitement la mélodie. L’air était chargé de beauté, de pureté, de belle candeur.

Il était protégé par la musique, par l’air, par la voix, par la main ; un univers entier se mettait en mouvement, à l’unisson, pour le chérir. Il ne connaissait pas ce sentiment et Dieu ! Qu’il aimait ça… Pour la première fois de ce qu’il avait vécu, il se sentait aimé. Il se sentait même important, alors qu’il était affalé sur une table, au milieu d’un monde désuet et improbable. Il n’était rien, ni personne, en cet instant, mais il se sentait être un tout, le centre du monde, le pivot de l’univers.

Il n’ouvrit pas les yeux. Il n’en voyait pas l’utilité. Il sentait bien autour de lui une agitation particulière, une effervescence, un tourbillon, de chants, de musique, de rires, de joie. En cet instant, le monde n’était qu’un immense champ de bonheur, comme si chaque coquelicot recelait en lui, un monde de rires d’enfants. Il ne put s’empêcher de sourire à cette image mais la pensée que tout cela mourrait bientôt, fit couler une larme le long de sa joue. Il avait cru que la vague de larmes qui avait submergé ce monde nouveau, signifiait que, désormais, il était vide de larmes et pourtant, il semblait bien que non. Il lui restait encore des forces de désespoir. Un sentiment diffus, comme s’il savait qu’il vivait là, le plus beau moment de son existence et que, en même temps, ce moment n’existerait plus.

Un événement unique le plongeant dans une plénitude extrême et dans une profonde détresse. Le besoin de jouir pleinement du moment en sachant qu’il n’existera plus jamais.
L’air se remplit d’un mélange de riches senteurs d’épices exotiques. Il hésitait à ouvrir les yeux. Il les entrouvrit pour essayer de distinguer le mouvement autour de lui. Beaucoup de lumières, de gens qui passaient devant et autour de lui, des rires, du bruit, et toujours ce chant divin. Il était englobé, lové, entouré de cette douceur cotonneuse. Il se décida à voir et à profiter.

La joue gauche toujours posée sur le plateau de la table, il regardait le mur face à lui. Ce n’était plus le mur qu’il avait vu en entrant. C’était un mur enduit à la chaux et couvert de tentures faites de pourpre et d’or. Celle qui se trouvait face à lui représentait un lion d’or sur un fond pourpre.

Plusieurs personnes passaient et passaient encore devant lui et lui cachaient la vue de l’animal. Hommes ou femmes, elles étaient vêtues de tuniques d’un blanc immaculé et toutes portaient un serre tête doré et une ceinture de fil d’or. Elles avaient toutes un plateau d’or fin, entre les mains, dans lesquels trônaient des mets tous plus raffinés les uns que les autres. C’est en tout cas ce qu’il pensa en contemplant les dispositions dans les plats et les décorations. En tournant la tête, il ne reconnut pas la pièce.

Désormais, il y avait des colonnes ciselées, des miroirs dans des cadres dorés au plafond, des fleurs éclatantes de couleurs pétillantes dans tous les vases, des escaliers avec des marches en marbre de carrare et des dalles qui alternaient marbres blancs et roses. De là où il se trouvait, il ne pouvait apercevoir l’extrémité de la salle. Un immense couloir où scintillaient des lustres en verre de Murano, ou ce qui aurait pu en être, remplaçait l’austère pièce vide.

Il avait le sentiment d’être dans un château du grand siècle alors qu’il se croyait davantage dans une cellule monacale. Sa table n’était plus la table modeste qu’il caressait auparavant mais elle était devenue une table richement décorée d’or et de rubis, de perles et de fioritures. Sa chaise ressemblait davantage à un trône avec son assise rebondie et couverte d’un velours pourpre, son dossier épousant parfaitement les courbes de son dos et ses accoudoirs forgés à même l’or des mines perdues d’un pays sans nom.

Voleur d’ombres 10

La musique résonnait désormais au pas de la porte. Amplifiée, magnifiée par la proximité. Elle semblait écrite pour lui, faite pour lui, comme un accompagnement, un guide, un phare. Le concert derrière la porte perdurait. Chaque note donnait un avant gout de paradis. Il ne bougea pas. Il profitait autant que possible de ces instants qui semblaient n’exister que pour lui. Il restait dans cette incertitude. Aller voir ou continuer, encore, à savourer, à profiter de cet instant de magie. Les moments de plénitude, de joie, d’accomplissement se révélaient suffisamment rares pour qu’il ne les gâche pas avec un geste déplacé.

Tel un enfant qui ne veut pas casser son nouveau jouet et hésite à le toucher, il ne voulait pas bouger pour ne pas casser la magie de cet instant.

Tout respirait une certaine perfection. L’essentiel était là, présent et diffusait autour de ce moment une magie divine. Il se souvenait de tous ces instants de détresse, de tromperies, de souffrances. Il voulait oublier ce qui l’avait poussé vers de telles extrémités. Oublier qu’il avait tort mais qu’on lui avait menti. Oublier que tout était sa faute mais que les sentiments ne peuvent pas se partager quand ils ne sont pas réciproques.

Longtemps, il avait cru aux histoires d’amour légendaires, aux rêves de félicité et d’éternité mais, cette fois, il le savait désormais. Ce romantisme mièvre, désuet ne correspondait plus à l’époque. Il n’était pas, il n’était plus un homme de son temps. Il le regrettait mais il en avait fait son deuil. Les choses vont rarement dans le sens des personnes sentimentalement fragiles. A donner sans retour, il avait fini par s’épuiser à la tâche.

Pourtant, et malgré tout cela, il sentait, au fond de lui, comme une envie toujours présente d’y croire mais le ressort était cassé. Il devait se résoudre à accepter de perdre ce combat contre la fatalité. Il avait voulu aimer, il avait cherché à aimer, et cette quête l’avait mené à se tromper, encore et encore. Si l’échec n’était pas, en soi, si grave, la répétition de l’échec, l’entêtement dans l’échec et dans ce désir fou de s’accrocher à celles qu’il ne faut pas, rendait l’échec invivable désormais.

Cette fois, comme un dernier feu d’une civilisation qui s’éteint, il avait mis les dernières armes dans la lutte. Il s’était battu, au-delà même de ses forces, mais ça n’avait pas suffit. Son idéal résistait mal aux contraintes des principes, aux règles édictées par on ne sait qui, on ne sait où, on ne sait quand. Alors, maintenant, toute cette fatigue pesait de tout son poids sur ses épaules. Il était las. Il était même épuisé de cette lutte perdue d’avance alors il ne bougeait pas.

Derrière lui, il sentit un souffle d’air frais. Il crut d’abord à une rafale de vent plus violente et puis, il se souvint que la porte était close. Pourtant, la musique était encore plus présente, plus forte, plus tactile même. Elle était là. Il avait refermé ses yeux et il n’osait pas les ouvrir. Il continuait à se sentir porté par une puissance des sens. Une force inexplicable venue d’un nulle part improbable.

Une main douce, chaude, fine, lui caressa la nuque doucement, tendrement. Au contact de la peau, il pressentit une main de femme. Il y avait longtemps qu’il n’avait pas été touché avec autant de douceur, de tendresse. Des années sans doute. Des siècles, peut-être même. Il comprit qu’en réalité, il n’avait jamais ressenti cette sensation, cette émotion. Une simple caresse qui envoyait tout l’amour du monde et délivrée sans rien attendre en retour, juste pour la beauté du geste. Il considéra que c’était la plus belle seconde de sa vie et il voulut qu’elle dure au-delà même de l’éternité. Cette main sur la peau de son cou réveilla toutes les fadaises romantiques qu’il avait enfouies au fond, au plus profond de lui-même.

Au jeu du questionnaire de Proust, à la question: » si Dieu existe ? » , il aurait répondu qu’il se transforme en cette femme qui, un jour, me caressa la nuque comme si j’étais l’unique et le plus bel amour de sa vie et me fit croire l’espace d’un instant que c’était vrai.