Il avait l’impression que cela faisait des heures et des jours entiers qu’il marchait vers cet inconnu. Il croyait se rapprocher à chaque instant et pourtant, il ne sentant toujours pas de sol ferme sous ses pieds. Il y avait seulement ce sable de souvenirs qui s’écartait sous son poids et tombait en avalanche sur les côtés de la crête des dunes qu’il arpentait.
Et puis, alors que la ruine semblait encore loin de lui, il se laissa tomber le long d’une dune de souvenirs et s’arrêta de rouler lorsqu’il toucha, du dos, une pierre polie. Il était sur le palier. Un palier qui n’était en réalité qu’une esplanade de marbre de plusieurs dizaines de mètres carré. Chaque pierre du sol semblait plus travaillée que la précédente. Malgré les dégâts du cyclone de larmes, il restait une magie indescriptible dans l’agencement des pierres, dans l’orientation des statues et des fresques. Même celles qui étaient en partie détruites exhalaient encore une odeur de sublime, un parfum divin qui circulait toujours à travers les rues désertes, les impasses tranquilles et les avenues éclatantes de lumière.
Depuis l’esplanade, il voyait l’intégralité d’une ville construite dans les plus beaux matériaux. Il voyait les chambranles des portes et des fenêtres en grès rose. Les lignes de démarcation entre les toits et les murs, entre les murs entre eux, entre les habitations entre elles, en or. Chaque fenêtre semblait taillée à même le plus pur cristal possible. Les rues semblaient construites en marbre comme les murs des habitations, des statues ou des monuments. La moindre pierre paraissait plus précieuse que sa voisine.
L’esplanade d’entrée débouchait sur une porte en arc de triomphe sur laquelle étaient juchés deux aigles en or fin, ou ce qui y ressemblait de loin. Les sculptures donnaient l’impression d’être vivantes et de pouvoir, à tout moment, sortir de leur piège de pierres. Même les créatures les plus étranges, les plus improbables, respiraient l’air doré des lieux car l’air lui-même portait de l’or dans son souffle. Tout était doré, lumineux, brillant tant le marbre, l’or le cristal se saisissaient de la moindre parcelle de lumière pour la renvoyer encore plus puissante vers le ciel.
Il mit du temps à se relever, écrasé qu’il était par le poids de la grandeur, de la splendeur et du merveilleux des lieux. Il avait du mal à garder les yeux fixés sur un endroit. Tout l’attirait, tout lui demandait un regard, un émerveillement, une caresse, tout, ici, exigeait de lui qu’il redonne vie. Il aurait voulu pouvoir reconstruire, réparer, refaire tout ce que ses larmes avaient détruit mais il n’en avait ni la force, ni le pouvoir et même, intérieurement, il trouvait que l’aspect déconstruit, abîmé, détruit de l’ensemble concourait forcément à la charge de cet ensemble. C’est parce qu’il avait souffert sous les effets du déluge qu’il était sublime, c’est parce qu’il avait survécu aux vagues, au flux et reflux des eaux qu’il avait atteint cette perfection esthétique quasi divine.
Il rassembla les forces qu’il lui restait. Il essaya de trouver l’énergie diabolique de se redresser et de se mettre à l’abri dans une des constructions féeriques. Le temps de se reconstruire, de se refaire, de se remettre. Il espérait secrètement trouver de quoi se nourrir, se reposer, se désaltérer, se laver, se changer, trouver de quoi revivre. Il réussit à force de prières faites au vide des étoiles à avancer. Le temps sembla éternel.
Pourtant, il franchit le seuil de l’arc de triomphe.