Voleur d’ombres 5

Il avait l’impression que cela faisait des heures et des jours entiers qu’il marchait vers cet inconnu. Il croyait se rapprocher à chaque instant et pourtant, il ne sentant toujours pas de sol ferme sous ses pieds. Il y avait seulement ce sable de souvenirs qui s’écartait sous son poids et tombait en avalanche sur les côtés de la crête des dunes qu’il arpentait.

Et puis, alors que la ruine semblait encore loin de lui, il se laissa tomber le long d’une dune de souvenirs et s’arrêta de rouler lorsqu’il toucha, du dos, une pierre polie. Il était sur le palier. Un palier qui n’était en réalité qu’une esplanade de marbre de plusieurs dizaines de mètres carré. Chaque pierre du sol semblait plus travaillée que la précédente. Malgré les dégâts du cyclone de larmes, il restait une magie indescriptible dans l’agencement des pierres, dans l’orientation des statues et des fresques. Même celles qui étaient en partie détruites exhalaient encore une odeur de sublime, un parfum divin qui circulait toujours à travers les rues désertes, les impasses tranquilles et les avenues éclatantes de lumière.

Depuis l’esplanade, il voyait l’intégralité d’une ville construite dans les plus beaux matériaux. Il voyait les chambranles des portes et des fenêtres en grès rose. Les lignes de démarcation entre les toits et les murs, entre les murs entre eux, entre les habitations entre elles, en or. Chaque fenêtre semblait taillée à même le plus pur cristal possible. Les rues semblaient construites en marbre comme les murs des habitations, des statues ou des monuments. La moindre pierre paraissait plus précieuse que sa voisine.

L’esplanade d’entrée débouchait sur une porte en arc de triomphe sur laquelle étaient juchés deux aigles en or fin, ou ce qui y ressemblait de loin. Les sculptures donnaient l’impression d’être vivantes et de pouvoir, à tout moment, sortir de leur piège de pierres. Même les créatures les plus étranges, les plus improbables, respiraient l’air doré des lieux car l’air lui-même portait de l’or dans son souffle. Tout était doré, lumineux, brillant tant le marbre, l’or le cristal se saisissaient de la moindre parcelle de lumière pour la renvoyer encore plus puissante vers le ciel.

Il mit du temps à se relever, écrasé qu’il était par le poids de la grandeur, de la splendeur et du merveilleux des lieux. Il avait du mal à garder les yeux fixés sur un endroit. Tout l’attirait, tout lui demandait un regard, un émerveillement, une caresse, tout, ici, exigeait de lui qu’il redonne vie. Il aurait voulu pouvoir reconstruire, réparer, refaire tout ce que ses larmes avaient détruit mais il n’en avait ni la force, ni le pouvoir et même, intérieurement, il trouvait que l’aspect déconstruit, abîmé, détruit de l’ensemble concourait forcément à la charge de cet ensemble. C’est parce qu’il avait souffert sous les effets du déluge qu’il était sublime, c’est parce qu’il avait survécu aux vagues, au flux et reflux des eaux qu’il avait atteint cette perfection esthétique quasi divine.

Il rassembla les forces qu’il lui restait. Il essaya de trouver l’énergie diabolique de se redresser et de se mettre à l’abri dans une des constructions féeriques. Le temps de se reconstruire, de se refaire, de se remettre. Il espérait secrètement trouver de quoi se nourrir, se reposer, se désaltérer, se laver, se changer, trouver de quoi revivre. Il réussit à force de prières faites au vide des étoiles à avancer. Le temps sembla éternel.

Pourtant, il franchit le seuil de l’arc de triomphe.

Voleur d’ombres 4

Chaque pas devenait plus lourd. Chaque souvenir, transformé en grains de sable, restait collé à ses guêtres. Il ne se souvenait pas d’être sorti dans cet accoutrement. Un pantalon bouffant dans un jaune doré des plus criards, une chemise en soie fine d’un rouge sang voyant et même aveuglant finalement et un gilet de lin ou d’un tissu léger de même facture violet. Il pensait soie ou lin mais il n’en avait en fait pas la moindre idée.

Il savait ou croyait savoir qu’il n’avait jamais eu ce type de linge dans sa garde robe et se demandait ce que ce déguisement voulait dire. En réalité, il se le demandait à de rares instants où il en prenait conscience. Il trouvait cette tenue confortable mais pas véritablement adaptée à son mode de vie. Pourtant, ici, dans ce désert de souvenirs, il lui fallait cela. La légèreté de cet improbable uniforme lui permettait de facilement progresser, même si l’impression visuelle était tout autre.

Contrairement à tous les imaginaires qu’il s’était crée, il n’y avait pas de chaleurs étouffantes ou de soleil de plomb brûlant les tissus et les vêtements. Il se sentait bien comme s’il était plongé dans les rêves ou les constructions d’un autre et que cet autre ne cherchait pas la souffrance ou la torture au long cours mais avait un but, un projet, une envie. Alors forcément, quand le temps tourna à l’orage, il n’en fut pas surpris.

Il avait cru que le nuage n’était que le résultat logique de conditions atmosphériques qu’il ne saurait expliquer mais qui répondait, sans doute, à une logique scientifique.

La réalité, c’est que ce monde n’avait ni sens, ni prise. Il n’était rien dans son univers. Il était là par la puissance d’un autre, la volonté d’un autre. Il ne savait pas qui, il ne savait pas comment, il ne savait pas pourquoi. Il avait compris que ce monde n’était que le fruit de ses souffrances enfouis mais qu’il n’en était pas le maître.

Il savait que son salut passerait par la ruine. Quelqu’un ou quelque chose pour obtenir de l’aide. Savoir où aller, savoir où il est. Il se décida à aller rapidement et indubitablement vers les ruines et cette prise de décision eut un effet qu’il n’avait pas prévu. Soudain, le château s’approchait de lui et même plus vite que ne pouvait le faire ses propres pas. Il faisait un pas et sentait confusément que l’image du château grossissait comme s’il en avait fait quinze.

Il sentit une pointe de peur ou d’appréhension. Il hésita soudain à faire un nouveau pas, comme si l’entrée trop rapide dans les ruines le décontenançait par avance. Une ambivalence des sentiments. Savoir à la fois qu’il fallait qu’il rejoigne ce refuge et une impression confuse que la paix ne serait pas si paisible en ce lieu. Très vite, il marcha machinalement. Malgré les hésitations, les peurs, les angoisses. Malgré ce monde inconnu qu’il ne parvenait pas à comprendre, il avançait. Malgré la fin des âges, malgré l’abandon, malgré la faim, malgré la soif et malgré ce frisson de fraîcheur qui lui parcourait l’échine et qu’il ne s’expliquait pas, il avançait.

Il voyait enfin précisément les constructions de marbre s’élever devant lui. Il pouvait voir la qualité des pierres, le fin ciselage de la découpe et la justesse des finitions. Malgré les ruines, la beauté se dégageait de chaque endroit. Un monde en déconstruction qui conservait ses plus beaux atours pour crier au monde les derniers feux de sa civilisation.

Voleur d’ombres 3

L’ombre grandissait sur le bitume de la rue. Le soleil dardait de ses rayons dorés le dos du marcheur égaré mais droit. L’ombre atteint son apogée à l’endroit où la pente se raidit. Elle allait se résorber désormais à chaque pas jusqu’à disparaître mais elle annonçait l’arrivée du prochain personnage, du prochain habitant du palais perdu.

Il n’arrivait pas encore à déterminer la personne qui lentement mais sereinement s’approchait de l’entrée imaginaire du palais. Il savait que ce serait le prochain habitant de ce non lieu et qu’il lui arriverait des choses qu’il était incapable de prévoir pour l’instant mais il le savait déjà. Il avait pris cette habitude depuis des semaines désormais.

Depuis que les mouvements des hommes étaient comptés et réduits, une sorte de retour aux sources s’effectuait à l’insu de chacun. Les nuées d’étourneaux ou de passereaux au dessus des villes devenaient un quotidien que tous savouraient finalement. Les nuages eux mêmes reprenaient une forme plus moutonneuse, plus lourde, plus compacte.

Les rivières semblaient plus poissonneuses et même la météo montrait des signes de clémence après des mois particulièrement pluvieux et gris. Au loin, la silhouette devenait plus masculine. Jusqu’alors, elle n’avait été qu’une longue ligne noire d’ombre sur le sol. Désormais, on devinait facilement les contours d’un homme au physique des plus banals. Un de ces hommes sans age comme il y en a des centaines dans nos villes. Entre deux ages donc, entre deux tailles, entre deux poids. Un stéréotype de l’entre deux. Ni tout à fait riche d’allure, ni tout à fait démuni, ni tout à fait beau, ni tout à fait laid de ce qu’on pouvait en deviner pour l’instant.

Sa démarche était lente, voûtée par le temps passé à chercher un oasis, un havre de paix. Il avait vu au loin, les hautes ruines du palais des songes et le considérait déjà comme sa seule issue, sa seule possibilité fragile de survie. Il avait marché et erré depuis son abandon. Il avait traversé des mondes inconnus et que finalement il ne soupçonnait même pas. une rupture n’est pas censée créer de nouveaux mondes, de nouveaux paysages.

Il savait pourtant que l’image de la traversée du désert accompagnait les souffrances de l’abandon mais il n’avait jamais soupçonné qu’il devrait réellement traversé un désert de songes, un désert d’images. Et pourtant, il en était là à marcher dans un désert où chaque grain de sable n’était qu’un souvenir des temps passé, du temps jadis, du temps où marcher à deux avait un sens. Un autre temps. Toujours, il s’était dit que les traversées du désert n’était qu’une volonté personnelle de souffrir, un désir de se plaindre et d’être à plaindre. Un chemin de croix où chacun se construisait sa croix plus ou moins grosse selon le degré d’autodestruction et puis, le mythe, le symbole devint une réalité.

Il avançait, il savait qu’il avançait et pourtant les hautes ruines du château qu’il avait vu être détruit par un tsunami venu de nulle part ne se rapprochaient pas. Il s’était concentré sur la provenance de l’eau. Au milieu du désert de nulle part, sans nuages,sans le moindre signe annonciateur d’une catastrophe. Il convoqua les dernières forces mentales qu’il trouvait au plus profond de lui même. Son corps le portait vers le palais détruit mais son esprit cherchait un sens.

Il fallait qu’il trouve des sens aux choses, des raisons aux êtres, des vérités aux mondes. Il crut en la science et à des phénomènes inexplicables qu’il ne pourrait comprendre. Il crut à une illusion mais lui aussi, reçut cette eau salée. Ce n’était pas un mirage.

Et puis, à force de ne pas avancer malgré ses efforts, à force de chercher sans trouver malgré toutes les suppositions, il comprit que ce monde ne se construisait qu’à travers ce qu’il ne croyait pas, ce qu’il ne voulait pas, ce qu’il ne pouvait pas. Il ne pouvait y avoir de traversée du désert, il traversait le désert. Il ne pouvait y avoir de château de contes de fées ou de poupées de princesse, il y avait un château improbable, il ne pouvait pleurer sur tout ce qu’il avait perdu, les larmes qu’il n’avait pas pu verser, se déversèrent sur ses illusions. Il aurait fallu qu’il cesse de penser, il aurait fallu qu’il cesse de vivre mais l’instinct de survie est toujours trop fort chez l’animal humain qui veut connaitre le chapitre suivant.

Voleur d’ombres 2

Du haut du cinquième étage de l’immeuble sans âge où se logeait son appartement, il avait une vue imprenable sur le monde d’en bas. Sa rue serpentait le long des hauteurs de la ville, construite sur une butte, elle cheminait vers une sorte de promontoire qui dominait tout le vieux quartier saint Jacques. Les hauts quartiers et leur tranquillité supposée expliquaient, en partie, les fluctuations immobilières du secteur.

De sa fenêtre, il voyait jusqu’au quartier Saint Pierre, derrière le fleuve et la fontaine de la place des martyrs et même, les jours où le temps était clément et le ciel dégagé, il apercevait le rond point formé par la rue des teinturiers et l’avenue du 13 octobre. De ce point de vue aucun passant ne pouvait lui échapper. Aucun badaud ne pouvait apparaître, soudainement, derrière une camionnette mal garée. Il voyait, il surveillait, il épiait même, la prochaine victime éventuelle d’une fiction fantasmée à naître.

Il n’avait rien à gagner ou à perdre de toute façon ; il ne voulait pas l’un et n’avait pas les moyens de l’autre. Il ne faisait pas cet espionnage dans l’espoir secret d’en tirer quoique ce soit. C’était simplement la permission faite à son imaginaire de batifoler à travers les herbes folles et hautes de son cerveau. Il s’inventait des mondes et mettait des personnages fictifs mais réels de la rue à l’intérieur. Ils devenaient des chevaliers ou des princesses, des gueux ou des lavandières, des infirmières en temps de guerre et des bourreaux en temps de paix.

Le soleil couchant donnait une couleur cuivrée au mobilier urbain. Les plaques vitrifiées des abribus semblaient couvrir d’or le bitume des chaussées. Sur cet univers urbain post moderne ou pré apocalyptique, il commença à poser sur ce sol d’or, un parterre de marbre et des peintures murales dans les teintes ocre et dorées. Il prit le temps et le soin de construire un palais merveilleux qui sortait de terre au milieu des immeubles de l’impasse Jean Jaurès et des commerces tous fermés depuis plusieurs jours déjà. Il voulait de l’exotisme, autre chose, un ailleurs pour oublier les jours qui défilaient dans une répétition permanente. Une sorte de vie circulaire à revivre les mêmes émotions. Il s’était efforcé, et avait réussi, à modifier son quotidien et à faire que les jours ne se ressemblent jamais. D’un peu de lecture ou d’écriture, de musique ou de peinture, de télé ou de jeux vidéos, il avait réussi à croire qu’il n’était pas enfermé.

Il leva les yeux au ciel pour y faire apparaître une vague immense de larmes qui roulait au milieu du vide céleste. Un tsunami de toutes les larmes qu’il ne versait pas et qui jaillissaient, enfin, comme un geyser incontrôlable. Il lâcha prise. Les larmes coulèrent sur ses joues, en même temps que la vague s’effondrait sur le palais inachevé. Il avait aimé cette histoire d’un monde parfait avant même de l’inventer. Il y voyait des éléphants et des serpents, des perles et des parfums rares, des joyaux et des arbres fruitiers mais il n’avait pas de sens. Juste un palais, posé au milieu d’une eau à présent calme.

Il était toujours cette illusion qui flottait au dessus des éléments et qui regardait d’en haut, de loin, du fin fond des étoiles, les pauvres erres qu’il avait plongés dans ces mondes se débattre avec le non sens de son imaginaire.

Au loin, une ombre grandissait sur les murs en ruine du palais de marbre inachevé. Depuis que le monde était à l’arrêt, les personnes marchant au milieu des allées se faisaient rares. Chacun longeait les murs pour éviter d’être vu, repéré puis contrôlé. Depuis quelques mois, les contrôles étaient devenus plus fermes et ne se résumaient plus à de simples questions anodines. Le paroxysme de l’inquisition moderne et de la surveillance, avec son lot de dénonciations et de suspicions, s’était abattu sur les villes à la même vitesse que son torrent de larmes destructrices sur son palais de marbre et de rubis.

Voleur d’ombres 1

C’était une journée comme toutes les journées qui s’écoulaient depuis les événements d’avril. Il s’asseyait sur la banquette qu’il avait construite, autour du cadre de fenêtre, et, avec sa tasse de café fumant à la main, il regardait le monde qui défilait en bas de chez lui. Il savait qu’il n’avait rien à espérer, ni à attendre de ce rituel mais, avec l’âge, il avait imprimé en lui, les marques d’une habitude désuète, finalement. Chaque jour, il regardait aux travers des vitres sales de son appartement car il n’avait plus la possibilité de leur rendre une apparence correcte, à la même heure, et il construisait la vie des passants. Il choisissait aux hasards des déambulations, le personnage le plus marquant selon des critères totalement personnels et il bâtissait des royaumes féeriques autour de ces quelques pas.

Il avait craint que les dernières annonces politiques ne viennent entraver son plaisir de début de soirée mais, assez vite, il fut rassuré. Les gens continuaient de vivre dans un monde à couteaux tirés, comme si les injonctions politicardes de ces dernières heures n’avaient été entendues que par une poignée de journaleux qui relayaient, en boucle, sur toutes les ondes, la divine parole. Même derrière sa fenêtre, il sentait de manière quasi palpable la tension qui montait des faubourgs.

L’énervement suintait des pores de toutes les peaux et il suffisait d’une étincelle pour construire un incendie mémorable.
Son jeu désormais était d’épier l’apparition de cet incendie. Il se délectait par avance de constater la chute de ce monde, auquel il ne croyait plus depuis longtemps, dans un immense capharnaüm, digne de l’effondrement de Babel. Trop de langues mélangées, trop de cultures différentes, trop d’envies et de besoins disparates pour que ce fil ténu d’une société, en apparence apaisé, ne résiste encore, ne serait ce que quelques semaines. Depuis son accident du milieu du printemps, il avait appris à regarder les éléments du monde avec une certaine distance. Il ne pouvait plus participer, il ne pouvait rien changer, alors il fallait au moins qu’il sache. Le seul exercice qui restait à sa disposition, était le passage de son fauteuil à cette banquette, sorte de promontoire sur le monde.

Il avait constaté des habitudes, des récurrences, des «éléments » de langage comme se plaisaient encore à dire les gens faussement connectés à des sphères beaucoup trop hautes pour de simples mortels comme lui. Il voyait des gens qui, en fait, se révélaient souvent être les mêmes. Très vite, le jeu tourna à la découverte des passants occasionnels. Il sentait que l’effondrement viendrait de là. Les habitués étaient trop sages, trop propres, trop bien élevés, selon lui, pour qu’ils ne provoquent quoique ce soit. Il fallait que ça vienne de l’extérieur, il fallait que ça vienne comme une violence nouvelle.

Il attendait en regardant nonchalamment les voitures circuler, les flics faire les rondes de contrôles réglementaires, les rares bruits qui subsistaient encore de ces temps troublés, venaient de loin, d’ailleurs, des autres quartiers plus populaires et plus peuplés. Lui, dans son quartier boboisé n’était plus confronté aux vicissitudes du quotidien populaire. Et de toute façon, son état ne lui permettait pas de se confronter à ses congénères, même avant les mesures du nouveau monde.

Chaque jour, à la même heure, la jolie secrétaire sortait son chien ridicule conformément aux règles. Il lui avait déjà inventé de multiples relations et de multiples vies et, à force, il ne la voyait même plus comme une charmante jeune femme mais comme l’héroïne de diverses fictions qu’il n’écrira jamais, malheureusement. Il aimerait avoir la force, le temps, le courage de coucher sur papier toutes ses vies rêvées des anges mais ça n’était pas sa vie finalement.

Fonctionnaires (partie 7) – La semaine politichienne de Smig

Elle avait des idées sur tous les sujets. A force de se taire et de se cacher d’être elle, elle avait enrichi son intérieur de toutes les objections qu’elle pouvait. Elle remettait en cause toutes les anciennes mesures municipales. Les trouvant toujours trop sages ou insuffisamment courageuses.

Elle voulait de la démocratie directe parce qu’elle avait trop souffert de se taire face à l’horizontalité du pouvoir. Elle voulait accompagner les seniors et guider les plus jeunes, mettre des espaces verts partout et donner un logement et un emploi à tous. Elle voulait changer le monde par le prisme de la mairie de sa petite commune. Elle croyait encore aux bienfaits de la politique, à l’utilité de la politique telle qu’elle se pratique. Elle croyait aux discours, surtout si les gestes et les actes se joignaient à eux.

Elle avait des idées pour tout, des objections pour tous et des explications pour tous les autres. Elle était partout comme poussée par une euphorie qui en fait n’était même pas la sienne. Elle s’était retrouvée là parce que personne ne voulait y aller comme toujours dans sa vie depuis le début. Elle voulait croire que c’était un choix, une sorte de mission venue d’en haut alors elle arpentait les marchés, elle serrait des mains et claquait des bises à des inconnus.

Elle devait avoir réponse à tout ce qui fait une commune sans jamais avouer qu’elle n’en savait rien. Il fallait être irréprochable sur tout, tout le temps et avoir des réponses satisfaisantes sur le terrain de foot du quartier nord comme sur les terres en permaculture de la butte aux merles, des idées pertinentes sur le réseau d’eau potable et celui des bus, et des révolutions en fiscalité et en commerce équitable. Elle travailla comme jamais.

Les concours de la fonction publique, les examens universitaires, les accouchements qu’elle avait fini par oublier, tout lui parut plus aisé que cette épreuve. Elle savait que ce n’était pas vrai mais la panoplie de la difficulté à conquérir un pouvoir illusoire allait bien au teint des candidats. Faire croire qu’on est Droopy à force de nuits blanches avec les cernes jusqu’aux genoux du voisin rendait crédible un candidat construit à la va vite dans la salle du fond du bar des artistes de la place de la résistance.

Elle finit par croire en ses chances parce qu’on lui disait d’y croire. Elle entendit pendant des semaines qu’elle était de loin la meilleure. Elle savait que c’était faux mais comme personne ne lui avait jamais dit auparavant, cela regonfla son ego en berne. Il y a quelques mois, elle parlait à son chat d’en finir avec tout et à son poisson rouge des courses à faire pour continuer d’être dans le système.

Elle méprisait finalement ses collègues qu’elle trouvait suiveur, pleutre et lâche et auxquels elle n’arrivait pourtant pas à se dissocier puisqu’elle était jusqu’à maintenant aussi lâche et pleutre et faible qu’eux. Elle méprisait parce qu’elles étaient comme eux. Elle se plaignait de tout, en permanence mais elle n’avait jamais pu décrocher. Ce n’est pas l’amour des élèves ou du métier, c’est seulement ce travail de longue haleine, pernicieux, d’un monde en fin de vie qui fait croire à tous qu’ils ne sauraient faire autre chose que ce pour quoi ils auraient été destinés.

Aujourd’hui, elle avait la chance que tous les autres attendent et n’ont jamais de devenir quelqu’un d’autre, de faire autre chose et de se sentir utile enfin ou à nouveau parce que cela faisait tellement longtemps qu’elle ne se sentait plus vivante alors que comme chaque être humain, elle avait besoin de cette essence et de cette énergie vitale.

Le pangolin viendra t’il a bout de l’ordolibéralisme? – La semaine politichienne de Smig

 

Il faut toujours voir le positif ou au moins essayer. Plusieurs petites choses se mettent en place qui montrent qu’il est possible d’avancer, quand, enfin, il y a un cap. Il est juste dommage de s’apercevoir que ce cap a été imposé par une vengeance divine (Je déconne!!!! Dieu n’est pas une chauve souris ou un paragaoulin, je ne sais pas quoi, je ne savais même pas que cette bestiole existait avant qu’elle ne nous tue tous).

Désormais, les personnes âgées de plus de 70 ans sont invitées à faire leurs courses entre 8 heures et 8 heures 30. Mesure à conserver et à encourager pour éviter de se prendre la tête avec les papys et mamies qui stationnent, apprêtés comme jamais, le samedi, à 10 heures, dans les allées des supermarchés à raconter d’improbables aventures pendant que nous attendons désespérément que leurs appareils auditifs fonctionnent à nouveau et leur permettent enfin d’entendre nos raclements de gorge et nos plus plates excuses de demander pardon de déranger pour juste attraper la bouteille de Hot Ketchup, la dernière, comme le groupe bidon espagnol du début des années 2000.

Les fabuleux politiciens qui ne juraient que par la mondialisation à outrance, les délocalisations et l’UE s’aperçoivent que, quand même, il y a quelques menus soucis à tout produire, à l’autre bout du monde, dans des conditions hallucinantes d’hygiène, de droit du travail et de sécurité en nous faisant crever ici en détruisant nos emplois mais en nous obligeant à consommer.

Là encore, le paradoxe du trou du cul… Faut pas sortir mais aller bosser, faut consommer mais vos emplois et vos salaires sont partis ailleurs.

Ces mêmes politiciens qui juraient que les frontières n’existent plus et qui s’empressent de les fermer, maintenant qu’il est trop tard.

On sait définitivement que les français se foutent totalement des injonctions gouvernementales. On est au stade 3. Il faut faire gaffe, sa mère, mais il faut voter..; Epicetou… Donc, c’est toujours le dernier qui a parlé et qui a raison. Et comme nous sommes dirigés par une bande de tdc, bah le dernier des tdc à parler est souvent le roi des tdc.

Ainsi, le premier ministre, dont personne ne retient le nom, pas même lui, Jacques Michel… Henry Claude… Marcel Etienne… (Bon, je ne sais plus mais ça n’est pas grave, sa seule chance de rentrer dans l’histoire étant d’organiser un génocide de masse et même pour ça, il est nul) fait une conférence de presse, avec des trémolos dans la voix et la barbe (alors qu’il est aussi candidat à une élection le lendemain, jdcjdr) pour nous dire qu’on est juste des trous du cul, pas civilisés, pas civiques et qu’il nous emmerde. Pour le dernier truc, il ne l’a pas dit mais on le sait.

Donc, ce Jean Foutre (c’est un pote à moi que j’aime bien charrier), ce matin, va voter, en roulant des galoches aux assesseurs (ou ascenseurs, enfin les gars qui sont assis et qui disent à voter pour se tenir éveillés entre eux). En gros, vendredi, on va tous mourir parce qu’on est trop con et dimanche, vous êtes tous morts parce qu’il faut absolument que je sois maire du Havre parce que ça commence à sévèrement puer du cul pour ma tronche.

Ensuite, on s’aperçoit qu’un grand nombre des bullshit jobs de ce pays peuvent se faire, sans trop de complications, depuis le domicile. Une sorte de théorie de Friot allégée. Avec deux ou trois aménagements pertinents, le télétravail devient la solution à la fin du monde capitaliste.

Dans la plupart des zones ultra polluées du monde, la crise du pangolain à courtes pattes, a drastiquement fait chuter le taux de pollution dans l’air.

Si un jour, on se sort vivant de toute cette saloperie, se dire qu’on devrait reproduire dans nos pays, en cultivant nos savoirs faire, que des horaires aménagés pour certaines activités permettent de fludifier les trafics, que certains emplois ne nécessitent pas de déplacements permanents, que le pq est une denrée rare, que l’ue ne sert à rien, que les frontières, parfois, ça n’est pas déconnant, que le capitalisme n’est pas une solution viable pour le plus grand nombre… enfin, toutes ces choses que les gens qui vivent à une hauteur humaine savent déjà depuis longtemps mais que toutes les personnes qui vivent le cul au huitième étage et la tête dans les étoiles feignent d’ignorer pour se gaver sur le dos des tondus… Mais, peut être que le pangolin chauve souris de Wuhan apporte la dispersion des étoiles comme le chantent les italiens dans le nessun dorma, sur les balcons ou en avion….

Dilegua, o notte! Tramontate, stelle! Tramontate, stelle! All’alba, vincero!

Dissipe-toi, ô nuit! Dispersez-vous, les étoiles! Dispersez-vous, étoiles! à l’aube, je vaincrai!

16.48 Les Sables d’Olonne, le 15.03.2020 – La semaine politichienne de Smig

Les premiers éclats de soleil du printemps arrivent sur le pays. Ils laissent espérer un printemps lumineux et ensoleillé.

Cette station balnéaire défigurée par la folie architecturale des années 70 n’échappent pas à ce renouveau des forces de la nature.

Depuis maintenant une trentaine d’années, cette bourgade de pêcheurs s’est transformée en cité dortoir de luxe pour retraités aisés, anciens cadres sup ou cadres moyens d’ entreprises cotées de la région parisienne;

En même temps que le prix de l’immobilier explosait, la moyenne d’age des habitants suivait la même courbe pour donner un gout d’EPHAD au remblai (l’avenue piétonne qui longe l’une des plus grandes plages d’Europe).

Contraint par des obligations familiales, sur lesquelles je ne m’épancherais pas, à effectuer un bref passage dans cette cité aux deux casinos, je m’attendais à même trouver une place pour me garer et contempler quelques instants la mer….

Idiot que je suis….

Dans une ville qui dépasse les 60 ans de moyenne d’age, dans une situation de confinement ou, en tout cas, dans un moment critique pour les personnes vulnérables, j’ai assisté, sans sortir de ma voiture, à une sorte de 14 juillet.

Du monde partout, dans toutes les rues et à tous les moments. Du cheveu blanc, du rondouillard, du palot..; Du gens qu’il va falloir sauver dans quelques jours de troubles pulmonaires. Des queues devant les bureaux de vote entre déambulateurs et bâtons de ski pour la marche norvégienne ou suédoise ou islandaise, enfin le truc ou on marche en faisant du ski.

Alors, sans doute que mon italianité m’incite à exagérer les causes et les effets, mais de là à partir en goguette, à 75 piges, au milieu de la foule, pendant une épidémie pandémique… je m’interroge.

Il ne me reste plus qu’à être d’accord avec Oscar Alain, notre premier ministre qui n’en rate pas une non plus mais qui, là, a raison:  » Moi le premier, je suis comme les français, je ne suis ni civique, ni citoyen, ni je ne sais quoi… » En gros, je suis un gros con mais les français encore plus.

Et franchement, qu’une bande de vieux qui ont tout eu et tout détruit m’oblige à être d’accord avec un mec qui n’a même pas choisi la couleur officielle de sa barbe, c’est gênant.

On a donc eu, en deux jours, deux clowns et une tripotée de ministres, secrétaires d’état, médecins, journaleux qui ont dit : « Les gars, faisez gaffe oh! »

On a un gouvernement qui ferme, de facto, des commerces comme si c’était la rigolade. Un gouvernement qui refuse la moindre once de populisme (ce truc qui vient du peuple) et qui se retrouve contraint de fermer les frontières. Et, en face, on a des vieux qui font du ski sur les bords de mer et qui votent.

Conclusion: On peut toujours espérer que c’était une erreur, une faute de l’histoire, un mépris du destin mais en fait, non… Si on a des abrutis indignes déconnectés hallucinants européistes comme gouvernants, c’est uniquement parce qu’il y a davantage d’abrutis dans ce pays, que de conducteurs de voiture en quête de place pour se garer et rongé par les remords d’être obligé de sortir…