Ce que j’ai compris de l’Italie politique de ces derniers jours à la demande de plusieurs personnes. C’est évidemment très très loin d’être parfait, d’être rigoureux, d’être juste mais c’est ce que j’ai compris, je peux donc être sans problème corrigé sur tout, je ne suis pas politologue ou constitutionnaliste, je fais ce que je peux.
1. En mars, les italiens étaient invités à se prononcer sur la constitution de leur parlement à travers des élections législatives qui, dans une république parlementaire comme l’Italie, est le socle du gouvernement…
2. Cette élection législative devant désormais se faire au regard de la nouvelle loi parlementaire impulsée par le gouvernement Renzi (du parti démocrate le PD et ça n’est pas ma faute) qui oblige le vainqueur a recueillir 40% des scrutins exprimés au minimum pour avoir une majorité qualifiée…. Cette loi implique donc quasiment l’obligation de coalition parce que 40% dans un tour unique, c’est quasiment impossible dans ce que les gens appellent démocratie et que nous appellerons, pour ne fâcher personne, représentation.
Donc, élections législatives. Dans un régime parlementaire, c’est le parlement qui désigne son Premier ministre et c’est celui-ci qui construit son gouvernement. Le président n’a qu’un avis consultatif et quelques prérogatives (nous y reviendrons) un peu comme la reine d’Angleterre ou le président allemand. La différence, c’est que les électeurs mettent en avant un parti donc une politique plutôt qu’une personne.
En France, c’est l’effet Macron qui a fait que l’assemblée nationale soit majoritairement LREM, en Italie, c’est parce qu’un parti serait majoritaire qu’untel serait premier ministre.
Évidemment, il est difficile de comparer les partis à l’aune de la représentation française mais jusqu’en Mars, l’Italie oscillait entre une gouvernance PD (Parti démocrate qu’on peut comparer au PS français) et FI (Forza Italia, le parti de Berlusconi qu’on peut comparer aux républicains, en France, c’est à dire la droite).
On a également le Movimenti cinque stelle (M5S) qui peut être rapproché de la FI française avec cependant une divergence très marquée sur le problème des migrants, problème essentiel en Italie aujourd’hui (nous y reviendrons aussi). Il y a la lega (ancienne ligue du Nord qu’on peut assimiler au FN français) et les fratelli (les frères qui sont eux à l’extrême droite mais de l’extrême) ainsi qu’un parti communiste aussi puissant que le pc français et des partis régionaux parce que l’Italie n’est une nation que depuis très peu de temps et que les régionalismes sont forts (un peu comme la Corse en France sauf que là, c’est dans toutes les régions quasiment).
Donc le gouvernement est issu de la « représentation nationale » après accord du président (et c’est un des points qui crée ce bug italien). Le gouvernement applique, effectivement, la politique qui a été présentée par le parti majoritaire ou par le programme de coalition puisque le gouvernement représente la parole populaire. Les gens votent pour un parti. Ce parti a un programme. C’est le programme qui est élu et non la personne. A partir de là, le parti propose, au président, un premier ministre qui sera chargé de constituer un gouvernement. Ce gouvernement se compose de ministres qui doivent être validés par le président, selon certains critères constitutionnels. Le parti élu propose un PM au PR. Le PR a le pouvoir de refuser, ce qui est très très rare. Le PM propose un gvt au PR. Le PR a le droit de refuser certains noms proposés pour des raisons constitutionnelles.
Ce gvt représente le programme pour lequel le parti a été élu. Les deux chambres votent ensuite la confiance au nouveau gvt. Mais le parlement (les 2 chambres) peuvent ne pas voter la confiance. On y reviendra lol. Le gvt est donc issu du parlement et donc du parti majoritaire ou de la coalition. Il applique la politique prévue par son programme. Les 2 chambres, comme en France: Assemblée et Sénat mais les deux ont des pouvoirs quasi identiques et plus importants que le sénat français.
3. A l’issu du scrutin des législatives, le M5S se trouve en tête avec environ 30% des voix… largement devant mais pas suffisamment pour gouverner seul. Ensuite, la lega avec 17%, de mémoire. Puis le PD avec 15% et FI avec 13%. Les pourcentages sont approximatifs. Je chercherais les résultats plus précis en commentaire. La logique eut voulu que le M5S se lie avec le PD afin de créer une coalition apparemment à gauche.
Toutefois, le PD est le parti de Renzi, extrêmement favorable à Bruxelles, le Macron italien.Donc, le PD a refusé toute alliance avec le M5S mais cela a crée des conflits et des tensions dans le PD. Certains pensant qu’il valait mieux être au gvt pour infléchir la voix de M5S plutôt que dans une opposition qui, a 15%, ne pèse pas grand chose au final. Le Forza Italia, parti de Berlusconi, a très vite signifié qu’il ne s’allierait pas avec le M5S.
Après des tractations complexes, le lega accepte de construire une coalition assez improbable entre l’extrême droite et l’extrême gauche (même si cette classification est à minimiser). Donc, c’est comme si la FI française avait récolté 40% en France et que pour être majoritaire, il faut 50% donc il manque des voix… les socialistes disent non, la droite dit non et le FN te dit: bah ok… On a donc une coalition entre mlp et jlm… très schématisée cependant mais pour faire clair.
4. La coalition M5S/lega propose au président de la république un premier ministre, un obscur inconnu pour les cercles politiques, au CV douteux selon certains organes de presse, du nom de Conte qui est considéré comme relativement neutre. Je n’ai personnellement aucun élément à charge ou à décharge contre ce monsieur.
Toutefois celui-ci aura la charge de construire un gvt et de mener une politique proche du programme commun rédigé par Di Maio du M5S et Salvini de la lega. Di Maio est un eurosceptique qui ne souhaite pas sortir de l’UE mais veut négocier les traités et certains principes.
Alors que Salvini représente un parti dont le slogan est Prima gli italiani…
D’abord les italiens. Donc sortie de l’euro, de l’ue si jamais les traités signés et la politique de Bruxelles entravaient cette ligne de conduite. Un point commun (ou plutôt sur lequel ils peuvent se retrouver) entre les deux groupes politiques est la politique migratoire. En effet, les migrants sont LE problème numéro 1 pour le peuple italien.
L’an dernier, ils ont « accueilli » presque 2 millions de sans papiers et, sur une économie déjà extrêmement tendue, les relents fascistes ressortent très très vite.
Pour Di Maio, il faut contrôler les frontières, ce que l’UE ne permet pas et donc qui entraîne l’euroscepticisme de la M5S, tandis que, pour Salvini, c’est immigration 0 et le travail pour les italiens. D’où la position de la lega anti EU, puisque l’UE interdit ce type de politique.
Pour Salvini, c’est soit je contrôle mes frontières, soit je les ouvre et surtout celles vers la France et l’Allemagne.
5. Le programme commun a été rédigé en fonction de ces critères avec aussi l’annulation d’une grande partie de la dette italienne vis à vis des marchés européens et la fin des sanctions contre la Russie. (Je mets en avant les points qui ont posé problème à savoir, immigration, EU, dette et Russie mais évidemment le programme traite de bien d’autres sujets et propositions). Ils ont donc proposé Conte pour défendre ce programme.
Le président Matterella accepte la nomination de Conte et, pour le coup, il ne peut pas faire autrement constitutionnellement puisque Conte est assez inconnu et neutre.
En effet, le président peut refuser une nomination si les principes fondateurs de l’Italie sont mis en danger ou si la personne proposée n’est pas apte pour diverses raisons à exercer son mandat. (Peine de prison, moralité, nationalité etc etc etc). Le PR ne peut en aucun cas refuser une nomination sur des principes politiques apparemment. La politique a été votée par le peuple et le président ne peut remettre en cause la parole du peuple. Donc Conte, légalement PM.
6. Conte, évidemment sous les ordres de Di Maio et Salvini, propose son gvt. Aux finances, les 3 hommes proposent Savona, un vieil économiste de 82 ans, reconnu pour ses compétences universitaires et juridiques mais considéré comme très euro sceptique. Donc, en conformité avec la ligne Lega/M5S. L’ouvrage le plus connu, ou du moins celui dont il a été le plus question durant cette période, de Savona est une étude sur la sortie de l’Italie de l’UE… Un peu comme si Sapir devenait ministre des finances en France. Tout le monde reconnait ses compétences mais le gars va loin dans sa volonté de sortir de l’UE.
Matterella est un président qui a obtenu son poste grâce à sa position dans le PD, il y a 3 ans. En effet, le président est investi par le parlement pour une durée de 7 ans. C’est donc la majorité parlementaire d’il y a 3 ans, à savoir la coalition entre PD et les partis de gauche hors M5S, qui était majoritaire.
Matterella est donc un PD (j’adore écrire ça impunément) et ainsi, il défend ses orientations idéologiques à savoir, en accord et même toujours plus d’EU. Le président ne peut se résoudre à supporter un ministre de l’économie euro sceptique et donc refuse la nomination de Savona.
Or, ce refus se fait sur des considérations politiques, ce qui est, semble t-il, selon certains, constitutionnellement interdit. Il refuse Savona, non pas parce que celui-ci est inquiété par la justice (ce qui avait été le cas pour un refus d’un ministre du gvt Berlusconi à l’époque) ou pour des raisons administratives, mais bien uniquement parce que Savona est eurosceptique.
Totalement anticonstitutionnel pour le M5S et donc, Di Maio propose une mesure d’empêchement parce que Matterella outrepasse, selon lui, ses droits constitutionnels. La mesure d’empêchement est un artifice constitutionnel qui vise à destituer le président lorsque celui-ci sortirait de ses prérogatives.
ah oui j’ajoute que les raisons invoquées par Mattarella pour refuser la nomination de Savola fut qu’il fallait protéger l’Italie et surtout les banquiers et les taux d’intérêt et les épargnants. Savola a rédigé une lettre pour signifier qu’il n’avait pas envie ni projet de sortir de l’Euro. Mais ce ne fut pas suffisant dans un premier temps.
7. Evidemment, cette mesure d’empêchement se fonde sur des valeurs subjectives et d’interprétations des lois et de la constitution.
Toutefois, Matterella, le président italien, nomme Cottarelli comme premier ministre, afin que celui-ci nomme un gvt dit technique, cad un gvt qui n’a comme, seuls pouvoirs, que de traiter les affaires courantes et d’organiser de nouvelles élections législatives.
Devant le soulèvement politique et populaire et la difficulté de la tache, Cottarelli décide de refuser le poste et Matterella rappelle Conte. Conte ayant dû démissionner parce que l’absence ou le refus d’un des ministres qu’il présentait lui était insupportable, enfin surtout à Di Maio et Salvini.
Enfin, c’était surtout un calcul politique de Salvini qui voyait très bien dans les sondages que la ligne dure de la lega prenait quotidiennement des points et que donc, il voulait de nouvelles élections afin de prendre le pouvoir en obtenant 40% en renouvelant la coalition précédent avec le Forza Italia de Berlusconi. (calcul politique, en gros la lega serait aujourd’hui autour de 30% des intentions de votes et FI autour de 12%, ce qui permettrait de construire une coalition majoritaire avec une FI plutôt faible et donc dans l’obligation d’accepter les consignes de la lega.
8. Matterella se retrouve donc avec un PM démissionnaire parce que illégitime pour beaucoup, Cottarelli, et un PM légitime mais démissionnaire parce que son gvt est refusé pas le PR. On se prépare à de nouvelles élections et on cherche désespérément quelqu’un pour gérer les affaires courantes en attendant la destitution du PR. Mais, coup de génie politique de Matterella qui rappelle Conte et lui dit de proposer un nouveau gvt.
Celui-ci s’exécute et pour ménager les susceptibilités, il ne met pas Savona aux finances. Mais pour bien montrer à Matterella qui est le patron, la coalition propose Savona aux affaires européennes lol…
Matterella ne peut pas refuser une deuxième fois un gvt qui est soutenu par la majorité des votants et presque 70% dans les sondages. Hier, le gvt Conte a donc été accepté avec Di Maio au travail, Savona aux affaires européennes et Salvini à l’intérieur pour s’occuper des migrants.
D’autres choses assez complexes dans ce gvt comme Fontana à la Famille, en gros, c’est comme si sens commun (Boutin en pire quoi) était à la famille…
9. On a donc un gouvernement au moins euro sceptique si ce n’est plus encore et une UE qui accumule les erreurs de communication. Un commissaire européen allemand qui suggère qu’on va apprendre aux italiens à voter comme il faut, il y a 3 jours et en fait ce n’était pas la vraie traduction mais la rumeur s’est propagée comme une traînée de poudre.
Un député européen allemand qui laisse entendre que si l’économie italienne est gérée vers une sortie de l’euro, la troika devrait s’en mêler comme en Grèce, il y a deux jours. Et hier, Junker qui déclare que les italiens devraient travailler davantage et être moins corrompus, citation à prendre dans un contexte et qui n’a rien d’infamant si ce n’est qu’elle est prononcée par une personne déjà particulièrement détestée par beaucoup .
Alors que les italiens travaillent, par an, presque 200 heures de plus que les allemands et que les deux pays les plus corrompus de l’UE sont la France et le Luxembourg. Si on ajoute Bruno Lemaire qui dit que les italiens ont voté pour des populistes dangereux et Macron qui félicite Matterella d’avoir refusé Savona au gvt, on comprend que l’amour des italiens pour l’UE s’effrite un peu plus chaque jour en ce moment et que les réticences vis à vis de Merkel, Macron, Junker et Bruxelles sont de plus en plus fortes.
Déjà que beaucoup considéraient que la crise des migrants était due à l’UE et à Schengen et que la crise économique était due à l’euro, il faut savoir que depuis que l’Italie est dans la zone euro, elle n’a pas connue un seul mois de croissance. Toujours à 0 ou négatif. Et que Lampedusa est un arrivage continue de migrants ainsi que la tension avec la mer adriatique depuis l’Albanie et la méditerranée depuis la Libye, principal point de passage des migrants d’Afrique, et juste en face de l’Italie. c’est en tout cas le ressenti d’un grand nombre d’italiens aujourd’hui.
J’espère avoir été clair. Si vous avez d’autres questions. C’est en tout cas ce que j’ai compris et, évidemment, c’est forcément encore plus compliqué que ça mais j’essaie de simplifier. Peut être trop mais pour expliquer parfois il faut. Et ce soir, il y a France Italie de foot!