10.

 

Les fins de mois étaient difficiles et pas seulement en raison du fric que je n’avais pas. Le sentiment d’avoir une vie ronronnante m’envahissait parfois et m’empêchait de profiter pleinement de l’absence de contraintes que je m’étais offerte. Certes, je ne roulais pas sur l’or, loin de là, mais le simple fait de ne pas répondre à des injonctions horaires parfois, me suffisaient amplement. J’avais obtenu ce privilège mental étrange de ne travailler, au sens rémunéré du terme, que si je le voulais. Mes besoins étant frugaux, je ne me forçais plus à collecter ou épargner ce qui, en fait, ne me servait à rien.  Pour que je me mette en marche, il fallait que je me trouve une excitation. L’argent n’était plus un moteur. Ma piaule était payée. Je buvais davantage que je ne mangeais en réalité et jamais chez moi. Les livres sont disponibles à la bibliothèque ou en PDF. Tout comme les films. Et la connexion internet n’est pas si chère objectivement. Ainsi, j’arrivais même à refuser les obscures filatures de maris trompés ou d’épouses cocufiées, les arnaques à l’assurance et autres petites choses qui, en réalité, ne motivent même plus les coupables.

C’est bien pour cette raison que j’étais encore en tenue de combat de prolétaire alors que 11 heures venaient de sonner au clocher lointain de l’église Saint Jean Baptiste de Grenelle. Le tee shirt troué et difforme et le boxer noir à l’élastique élimé qui tenaient sur moi parce qu’ils semblaient incrustés dans la peau. Je n’avais plus de lit. Je dormais aussi bien dans mon canapé et personne ne venait jamais chez moi. Je n’avais pas la nécessité ou le besoin de présenter un intérieur soigné. Mon intérieur se devait d’être fonctionnel et en rapport avec mes besoins. Depuis longtemps aussi, le regard extérieur n’était plus une préoccupation. Je m’entretenais exclusivement dans un but de bien être personnel et non dans un quelconque besoin de séduction. J’avais résolu ce problème de la vie de couple ou de l’amour partagé en le traitant comme le reste des événements, avec désinvolture. Ce n’est pas que cela ne m’intéressait pas, c’est que, clairement, je savais que je n’étais pas fait pour ça et donc, j’en avais fait mon deuil. La vie à deux était une corvée pour moi et je vivais déjà avec moi, alors introduire une troisième personne dans ce fatras ne serait rendre service à personne. Je vivais donc le plus souvent à moitié à poil dans mon appart payé, seul, avec du café, des restes de pizza et un peu d’alcool… Les journées pouvaient passer sans que je sorte. Quelques livres, quelques vidéos pour voir à quoi ressemblent physiquement les humains et quelques coups de fil pour commander à bouffer ou ravitailler le liquide. Parfois, un client se souvenait de mes exploits passés et composait malencontreusement mon numéro ou bien, un mec totalement perdu à qui Fargellas avait transmis mon numéro pour s’éviter une surcharge de paperasses. J’étais une sorte de Sherlock Holmes moderne, sans le talent évidemment mais tout aussi névrosé et incompréhensible pour le monde des vivants. Les morts avaient cessé de vivre à force de ne pas me comprendre.

 

Pensées ferroviaires …

 

Chaque départ amenait cette même fièvre, cette même fureur. Je n’arrivais pas à m’habituer et l’impression toujours vivace et vivante qu’une partie de moi restait sur place. Laisser derrière soi des incertitudes, des fractures, des blessures et des joies. Il n’y a plus rien d’acquis mais rien non plus de perdu sauf ce que l’on a décidé de perdre. C’est dans ces lieux où se croisent des visages appelés à immédiatement disparaître que se construit une part de la futilité existentielle. Le plus souvent, il n’y a aucune indication de directions ou d’arrêts. Il n’y a qu’un passage dans un lieu commun vers un autre monde ignoré à jamais. Toutes ces vies qu’on ne vivra pas et qui prennent des visages et des sens différents. Toutes ces énergies qui courent d’un lieu à un autre, en cherchant le sens que je ne trouve pas pour moi. Je vois que, en réalité, finalement, il y a davantage de personnes comme moi que je ne le croyais. L’idée de trouver et de donner un sens à un parcours de vie devient la quête la mieux partagée par le plus grand nombre. Tous ces questionnements circulaires qui finalement apparaissent comme collectifs, partagés par tous et pourtant je ne suis qu’un. Un nombre dans la masse qui fait foule. Un. C’est aussi cette solitude dans la foule qui fait que je me détermine désormais comme un égoïste contrarié. Il y a cette obligation d’accepter ou de supporter les autres et pourtant, il n’y a plus guère que moi qui compte. Pourtant, malgré cette évidence partagée, malgré cette nécessité impérieuse, malgré cette obligation vitale, je ne parviens pas à me résoudre à agir comme tel. Peut-être qu’il me faudrait un soutien ou un sauvetage. Peut -être une béquille qui résiste aux tempêtes et aux naufrages. De toute façon, je me suis déjà épuisé à me débattre seul contre moi-même et forcément plus les temps avancent et plus les forces de se combattre déclinent. Le combat n’est pas terminé mais il est déjà perdu. C’est dans la résistance uniquement que se construit le reste d’humanité et de vie qui fait que le monde continue de tourner aussi vite d’un sens et si lentement de l’autre. Alors haut les cœurs et que tout continue puisque rien ne se termine réellement.

Perpet pour les faux braves

 

C’est au milieu des gens que je sens croître, en chaque instant, ma solitude. Tellement de sollicitations extérieures qui, en réalité, ne reflètent que la nécessité qu’éprouve l’autre mais qui ne correspond, en rien, à la mienne. Mettre de côté ses propres velléités afin qu’elles ne dérangent pas l’autre, semble être un apanage propre à l’absence de confiance. Evidemment, plus les éléments extérieurs s’unissent pour saper le peu de confiance en soi qui subsiste et plus l’effondrement est proportionnel à l’explosion/implosion… Les discours qui entourent et qui englobent et qui insistent sur le fait qu’il faut accepter, qu’il faut changer…  plier sans rompre ou rompre sans plier, mais ne plus rester dans cette boucle qui ne saurait, elle, évoluer si l’effort ne vient pas de soi. Alors voilà, il faut changer et que cela vienne de soi mais c’est le monde autour qui te le dit et qui t’y oblige. Le choix est forcément réduit ainsi. Tu te dois d’accepter cet état de faits et je me dois de m’y soumettre : je dois changer et que cela vienne de moi parce qu’il est admis que le monde autour de moi qui m’imprime cette obligation de changements, lui, ne changera pas. Il est obligatoire que tu changes et c’est une force abstraite et impalpable qui te dit de le faire alors qu’elle-même ne le fera pas. Mais tout va bien. Le monde comme il va en tournant sur lui-même dans une répétition éternelle et immuable oblige celui qui marche sur le coté de la route à entrer dans le chemin, dans le fameux cadre dont personne ne connait réellement la définition. Il faut devenir conforme à cette roue, à cette ritournelle, à ce mouvement perpétuel. Tu dois plier à cause d’un phénomène qui ne pliera jamais. Alors comme tout le monde, je me compromets à force de compromis parce que ce n’est que cela en définitive les compromis. Accepter que mon propre désir passe après celui d’un autre. Cela peut se concevoir en société mais dès lors, cela explique que je ne souhaite pas vivre en société. Toutefois, ne pas vivre en société nécessite une acceptation d’un statut de marginal qui ne me convient pas. Je en suis pas marginal, je suis différent. Hors cadre si l’on veut mais surtout désintéressé par ce cadre qui, au final, réellement, ne cadre d’autre que mes volontés d’être un autre ou au moins différent.

9.

 

Il régnait sur le port un calme quasi olympien. Dans les stations balnéaires, au milieu de l’hiver, lorsque tous les commerces sont clos à l’exception du gros supermarché de la communauté de communes et où seuls restent les quelques retraités autochtones, ce calme devient le trésor le plus beau et l’objet de la quête la plus absolue. Le temps grisâtre remplissait ces lieux d’une beauté qui paraissait sauvage. Le vent construisait les vagues et les remous qui portaient sur le continent un son, une musique qui renforçait encore ce calme. La seule chose qu’on pouvait entendre, c’était le bruit de la mer et ça ça vaut davantage que toutes les musiques zen. Mais voilà, à force d’être trop calme, ces lieux devenaient vides et c’est ce vide qui faisait peur et qui faisait que les lieux devenaient dangereux. Trop de vide, trop de calme, trop de nature, ça finit par tuer.

Je savais déjà ce que j’allais rencontrer dans ce petit f2 avec vue sur le port et le remblai avec ses devantures de restaurants fermés toutes plus grandes les unes que les autres. Un appartement aseptisé et prêt à accueillir les pigeons de juillettistes et d’aoûtiens prêts à dépenser l’équivalent de deux mois de loyer pour une semaine ou deux de dépaysement. Des murs blancs et tout droits sortis d’une clinique privée, des meubles scandinaves neufs et des rideaux d’une neutralité absolue. Pas de photos de famille, pas de tableaux trop expressifs, pas de souvenirs ni de signes d’appartenance à un monde ou un autre. Juste un lieu qui donne sur l’étendue de l’océan sans avoir à s’approcher de la fenêtre. Assez haut pour ne pas voir les tatoués en marcel, et les tatouées en monokini et ainsi éviter un décollement de la rétine mais pas trop haut pour pouvoir tout de même monter les courses. Et une vue sur l’immensité de l’océan. Puis dans la seconde pièce, une chambre avec au centre et prenant la quasi totalité de l’espace un lit. Peut être deux tables de nuit posées une de chaque côté. Et même une lampe sur chacune d’entre elles. Sur le côté opposé de la grande baie vitrée de la chambre, une porte coulissante qui donnait sur une petite salle de bain avec les toilettes. Un bac à douche, un lavabo, des chiottes, un meuble de salle de bain vitré au dessus du lavabo et un petit meuble étudié pour, posé sous le lavabo. A l’entrée de l’appartement sur la gauche, parce que c’est toujours sur la gauche, ce qui doit être un signe politique évident, une petite cuisine, une kitchenette comme les costumés des différentes agences d’escroquerie immobilière aiment à les appeler. Tout cela était désespérément banal et attendu. Ce qui faisait que je me trouvais là, c’était bien le corps que j’allais découvrir à l’intérieur de cet espace et la mise en scène que l’écrivain public allait cette fois me proposer.

Déclinaison…

 

Ce n’était pas tant le vent sur le bord de mer qui gênait ou le soleil trop présent qui brûlait les yeux. Paradoxe permanent de ce soleil que chacun attend et réclame et dont tout le monde se protège. Ce qui compte vraiment, c’est de savoir que tout cela a un sens. Le hasard n’existe pas. On peut se résoudre à croire que tout est manipulation divine mais ça n’a réellement aucune importance, ce qui compte c’est de comprendre que je ne bande pas par hasard. Ce qui existe c’est la conjonction de plusieurs événements, tous indépendants mais tous agissant dans la même direction pour le même but : l’érection. Elle peut être évidemment mentale, et elle n’est même en réalité que cela. Tout mécanisme corporel propre à une modification significative de mon être physique et mentale est en réalité l’acceptation d’un fait de vie. Le fait de justifier et d’exprimer sa propre vivacité de manière visuelle et palpable. Se prouver, à travers le corps et la réaction de l’autre que l’on vit, que l’on est et que cette survie a du sens, le sens que je lui donne même s’il parait insignifiant. Ainsi, le hasard prend sens et s’il y a sens, il n’y a plus hasard alors mes différents handicaps sont des sens qui donnent sens aux sens que je veux avoir.Et puis, il y a les ombres, les chemins de traverse et les vents contraires. Toutes ces choses qui font que la vie reste cette merveilleuse chose ancrée en nous. Parce que ancrer certaines choses apparemment c’est important. Enfin, il semblerait… Il existe tant de possibles que je n’ai pas voulus et qui continuent pourtant de nourrir mes quotidiens routiniers. Ce n’était pas tant toutes ces vies que nous subissons, las, fatigués par tant d’exigences que nous nous sommes imposés à nous mêmes, ce sont uniquement nos propres désirs et volontés inconscientes qui prennent le devant de la scène par le formatage structurel, fonctionnel, universel que chacun construit autour de son propre château de verre. Cela aurait été une belle aventure, un voyage audacieux vers un monde inconnu. les travers de cette humanité me fatiguaient de plus en plus. Je me devais de supporter mes congénères mais honnêtement, j’étais las de supporter ce que je considérais être de la médiocrité. Toutefois, je n’étais pas dupe de certaines réalités qui faisaient de moi, le plus médiocre de tout ce marasme. A bien y regarder, rien ne m’obligeait à supporter ce système, cette construction et à continuer d’espérer que les choses changent mais rien ne changerait plus. Tout était figé et ça n’était pas plus mal ainsi finalement. 

5.

Je m’étais redressé afin d’avoir une visibilité sur sa toison frisotée et sur l’intégralité de sa peau tannée. Je m’aperçus que j’aimais sa peau, sa couleur, son gout, sa douceur. L’envie me reprenait. Je couvrais mon entre jambe avec le drap pour cacher toute naissance d’émoi de ma personne. Je tentais une timide amorce de discussion afin de faire diversion.

  • Mais pourquoi tu parles français ?

Je savais déjà que je regretterais d’avoir posé cette question. Elle lançait par définition les hostilités sur le récit d’un mauvais remake de l’Est des Misérables. Et intérieurement, ce n’est vraiment pas ce dont j’avais envie.

  • Avant de faire pute en Italie, j’étais pute en Belgique, et un peu en Suisse aussi.
  • Ah ouais… en fait t’es internationale !

J’avais apprécié l’utilisation du terme pute, parce que même si la connotation est péjorative, elle ne cachait pas ce qu’elle était et finalement cela donnait des lettres de noblesse au mot. L’utiliser c’était à ce moment précis lui donner du sens, du corps et je trouvais ça digne.

Elle commença alors le récit de son histoire dans un sabir mêlant de l’italien, de l’anglais du français et un dialecte inconnu, qui selon ce qu’elle racontait pouvait être du roumain ou du bulgare. Tout cela me parvenait avec un fort accent dans le verbe qui semblait venir d’un quelconque pays de l’Est… ou d’ailleurs… c’était vraiment sans importance pour moi parce que son histoire n’avait aucune importance pour moi. J’en avais entendu des centaines semblables à celle-ci. Aucune raison d’écouter davantage celle-ci plutôt qu’une autre d’autant que mon coup de folie m’avait déjà couté 50 euros et que je ne voyais pas de raisons de partager plus encore. J’avais payé sans rechigner parce que je ne voulais pas d’esclandres dans un pays où je n’étais rien et où je ne comprenais rien et que je sentais bien qu’elle était capable des pires scandales afin d’exister.

  • Et comment tu t’appelles ? Je savais déjà que je regretterais d’avoir posé cette question. Elle lançait par définition la suite de son récit. Cela avait été plus fort que moi. Les mots étaient sortis de moi sans que j’y prête attention, sans que même je m’en aperçoive réellement.
  • Sofia
  • Comme Loren…
  • Non, comme la ville

Je m’allumais une cigarette. La nuit promettait d’être longue désormais. 

Tutto è bene

Ce n’était pas le bruit du silence empreignant les pierres ancestrales de ces ruelles ni les éclats de lumière qui perçaient sous quelques ponts ou à travers quelques croisements alambiqués. Ce n’était pas tant l’absence d’odeurs malgré les rumeurs ou seulement les odeurs de la vie maritime qui ne valent que parce que le continent se mêle à la mer. Ce n’était plus tant les gens qui marquaient une indifférence polie à ton passage au milieu des cris de prévention et des discussions à voix haute parce qu’il n’y a plus rien à cacher dans la ville des secrets. Ce n’était pas tant le vent sur le bord de mer qui gênait le recueillement ou le soleil trop présent qui cachait les dégâts du temps ou de l’incurie humaine. Ce vent qui faisait tourner les têtes en même temps les sens et finalement est absent de toute clarté solaire. La faconde et le bonheur d’être là se suffisent à eux-mêmes pour faire comprendre que si le centre du monde n’est pas à, c’est uniquement parce que les gens d’ici ne le veulent plus.

Ce n’était pas non plus tant la profusion de chefs d’œuvre ou la marque de sublimes éternels qui faisaient que l’appel de la découverte devenait un rappel permanent et une drogue saine. Ce n’était pas la chaleur humide, ombragée, des passages escarpés où chaque visage devient une histoire improbable, où chaque regard conte une aventure qui n’existera pas.

Ce n’était pas temps ou ailleurs parce que c’était là, parce que parfois les évidences font qu’elles doivent être vécues, que le temps n’a d’importance que s’il provoque les débordements maritimes et les obscurités diurnes.

Ce ne fut plus les lueurs des réverbères enchevêtrés les uns dans les autres au virage de la journée, dans l’entrée du soir, où les chiens qui se prélassaient dans les cours pavées, où les portes cochères dissimulées sous les glycines, deviennent des loups qui paradent, triomphants, sur les terrasses longeant les campaniles qui cherchent à crever les cieux. Ce ne serait jamais l’eau qui s’infiltrait partout et en tout et n’amenait que la douceur et la quiétude du ressac, et couvrait paisiblement et presque amoureusement les lieux, les places et les gens.

C’était, en réalité, juste un tout, un songe posé au milieu d’une réalité austère. Une bulle douce et sucrée, en marge du monde et de sa fureur, qui voyait passer les jours sans les compter et qui ne comptait pas pour les jours. Ici, c’est à part parce que le monde ne veut ou ne peut pas comprendre que c’est ainsi que devrait se vivre la vie.

Les mains dans les poches pour les vider

Le temps était passé et les blessures auraient dû ou pu être évacuées. Et pourtant… il y a cette faculté humaine incroyable qui consiste à occulter les vrais beaux moments, parce qu’en réalité, la souffrance est proportionnelle à la beauté du moment. En fait, ce qui blesse le plus, c’est que je vis un moment heureux et, qu’au moment où je me rappelle cette personne, ce moment, je vois que cela n’arrivera plus. Elle est là la souffrance. La présence de l’autre n’existe qu’à la hauteur de ce qu’il a laissé. Le plus souvent elle d’ailleurs. C’est ainsi que je sais réellement ce que l’autre vaut dans ma vie. C’est dans l’absence que je mesure la place que l’autre avait prise ou que je lui avais donnée ou laissée. Et avec le temps, je vois finalement que l’autre n’avait qu’une place momentanée. Tout cela est une évidence mais ça va mieux en l’écrivant. Ainsi, l’autre n’a d’importance que dans celle que je lui donne. Il est donc aisé finalement de ne pas souffrir de l’autre à partir de cette prise de conscience. Profiter uniquement de l’instant présent, ne pas se reposer sur un quelconque acquis parce que concrètement, il n’y en a pas. Promettre un amour eternel, une amitié inoxydable et finalement passer à autre chose, à un autre individu, parce que c’est comme ça. Finalement ce n’est pas la présence de l’autre qui manque, c’est juste les moments partagés avec l’autre qui font que les souvenirs existent. Alors selon chacun, la place des souvenirs est plus ou moins importante apparemment. Je reconnais que je me souviens de beaucoup de choses mais justement parce que j’accorde beaucoup trop d’importance à des gens qui, au final, n’en ont pas. Alors ce peut être le besoin de se sentir aimé ou juste apprécié ou une mémoire exceptionnelle mais quoiqu’il en soit j’apprends à faire en sorte que ceux qui ont construit ces marques, ces traces soient présents parce que je ne parviens pas à les supprimer mais deviennent sans importance parce que finalement ils n’en ont pas. De l’ami ou de l’ancienne amante qui revient ponctuellement, on est juste dans l’insupportable incohérence du truc qui est que ces personnes ne valaient pas la peine que j’en ai et vice et versa.

Souvenirs, souvenirs…

 

C’était une de ces journées où la mémoire refait surface, où les événements s’enchaînent et font renaître en soi les moments enfouis au plus profond des souvenirs pourris et oubliables. Cet organe qui fonctionne à l’envi et selon des codes qui lui sont propres, qui renvoie en toi des images que tu ne voulais plus voir, des visages que tu avais préféré à juste titre, oublier. La vie était plus empreinte de quiétude et de sérénité sans ces souvenirs mais voilà… on ne choisit pas les affres de sa mémoire et les combats de son inconscient, subconscient, conscient ou pas de ses dérives passéistes. Comme tous, j’aurais voulu pouvoir oublier définitivement. Ne plus avoir d’images entêtantes qui pourrissent le quotidien et gâchent le gout du futur mais c’est ainsi, parait-il, que se construisent les bonheurs du présent et les désirs du lendemain. Alors, comme chacun, je m’efforce de vivre avec toutes ces caravanes et ces cargaisons de gens et d’événements qui restent collés à la semelle de ma mémoire et qui collent le sol de ma vie. Pourtant, malgré tout, les paysages, les moments sont à conserver. Ce qui compte réellement, en fait, c’est d’oublier les visages. Ne plus avoir à se confronter de quelques manières que ce soit avec certains regards. Ne plus savoir que ces figures du passé existent. Ne plus sentir le poids d’une présence autour de soi comme un vilain fantôme qui hante les couchers de soleil, être libéré des attaches et des liens humains parce que l’inhumain a modifié les perceptions. La réalité n’est pas que je n’aime pas les autres, c’est plutôt que les autres que j’ai rencontrés ne valent pas la peine que je me force à aimer ceux qui restent. La création de la déception semble être le modèle le plus fréquent de mes rencontres. Alors, je me suis habitué à être déçu et finalement, plutôt que d’être déçu, je me suis débrouillé pour être impossible à décevoir. La réussite n’est pas au rendez vous mais, c’est tout de même moins pire que si c’était vrai.