Les fins de mois étaient difficiles et pas seulement en raison du fric que je n’avais pas. Le sentiment d’avoir une vie ronronnante m’envahissait parfois et m’empêchait de profiter pleinement de l’absence de contraintes que je m’étais offerte. Certes, je ne roulais pas sur l’or, loin de là, mais le simple fait de ne pas répondre à des injonctions horaires parfois, me suffisaient amplement. J’avais obtenu ce privilège mental étrange de ne travailler, au sens rémunéré du terme, que si je le voulais. Mes besoins étant frugaux, je ne me forçais plus à collecter ou épargner ce qui, en fait, ne me servait à rien. Pour que je me mette en marche, il fallait que je me trouve une excitation. L’argent n’était plus un moteur. Ma piaule était payée. Je buvais davantage que je ne mangeais en réalité et jamais chez moi. Les livres sont disponibles à la bibliothèque ou en PDF. Tout comme les films. Et la connexion internet n’est pas si chère objectivement. Ainsi, j’arrivais même à refuser les obscures filatures de maris trompés ou d’épouses cocufiées, les arnaques à l’assurance et autres petites choses qui, en réalité, ne motivent même plus les coupables.
C’est bien pour cette raison que j’étais encore en tenue de combat de prolétaire alors que 11 heures venaient de sonner au clocher lointain de l’église Saint Jean Baptiste de Grenelle. Le tee shirt troué et difforme et le boxer noir à l’élastique élimé qui tenaient sur moi parce qu’ils semblaient incrustés dans la peau. Je n’avais plus de lit. Je dormais aussi bien dans mon canapé et personne ne venait jamais chez moi. Je n’avais pas la nécessité ou le besoin de présenter un intérieur soigné. Mon intérieur se devait d’être fonctionnel et en rapport avec mes besoins. Depuis longtemps aussi, le regard extérieur n’était plus une préoccupation. Je m’entretenais exclusivement dans un but de bien être personnel et non dans un quelconque besoin de séduction. J’avais résolu ce problème de la vie de couple ou de l’amour partagé en le traitant comme le reste des événements, avec désinvolture. Ce n’est pas que cela ne m’intéressait pas, c’est que, clairement, je savais que je n’étais pas fait pour ça et donc, j’en avais fait mon deuil. La vie à deux était une corvée pour moi et je vivais déjà avec moi, alors introduire une troisième personne dans ce fatras ne serait rendre service à personne. Je vivais donc le plus souvent à moitié à poil dans mon appart payé, seul, avec du café, des restes de pizza et un peu d’alcool… Les journées pouvaient passer sans que je sorte. Quelques livres, quelques vidéos pour voir à quoi ressemblent physiquement les humains et quelques coups de fil pour commander à bouffer ou ravitailler le liquide. Parfois, un client se souvenait de mes exploits passés et composait malencontreusement mon numéro ou bien, un mec totalement perdu à qui Fargellas avait transmis mon numéro pour s’éviter une surcharge de paperasses. J’étais une sorte de Sherlock Holmes moderne, sans le talent évidemment mais tout aussi névrosé et incompréhensible pour le monde des vivants. Les morts avaient cessé de vivre à force de ne pas me comprendre.