
Dans tous les aspects du voyage, je ressentais cette forme d’arrachement combinée à un désir brûlant de partir. Les vacances, jusqu’à maintenant, n’avaient eu d’intérêt que dans le trajet qu’elles obligeaient. Et très vite arrivé, la volonté de repartir m’étreignait. J’aimais ces moments où, le front posé sur la vitre, les yeux se perdaient dans des décors pour la plupart inconnus. Cette fois, la route m’était véritablement totalement inconnue. Les villages ou campagnes croisés n’avaient ni nom, ni identité. J’observais le défilé des paysages. Chaque instant m’éloignait davantage du quotidien grisâtre des rues parisiennes. J’espérais un autre climat. Je savais déjà que le choc de la langue et du climat me ferait le plus grand bien mais je n’éprouvais pas d’appréhension à l’idée de me retrouver dans un lieu sans le moindre repère. Cela accentuait même plutôt mon envie d’arriver. Etre perdu, ne rien comprendre, ne rien connaitre et se perdre encore davantage. Il y avait là un enjeu, une saveur, une excitation toute particulière. Se confronter enfin à une situation que je ne pouvais pas maitriser parce que je n’avais ni les savoirs ni les compétences pour cela. Etre dépassé, dépourvu et faire quand même parce que c’est ça qui est beau, qui est plaisant.
C’était des plaines vertes, ensoleillées et calmes qui s’offraient aux regards. Seul le son métallique et redondant de l’avancée du train rappelait un semblant d’humanité. Le soleil se cachait derrière quelques nuages. Depuis quelques jours déjà, il refusait de partager les horreurs vécues. Que ce soit à Paris ou ici, au milieu du nulle part toscan, il refusait de participer à cette horreur, mélange d’ésotérisme, de littérature, de philosophie et de criminologie de bas étage. Et je ne pouvais que comprendre son attitude. Le fait que Sofia sorte de ma vie, hier soir, aussi vite qu’elle y entra, était un privilège que je ne pouvais partager avec lui ; Et, l’absence de la seule consolation que j’avais réussie à obtenir en compensation de ma frustration, faisait une différence énorme entre nos deux statuts. Lui n’aurait été là que pour apporter une consolation éphémère et précaire. J’avais obtenu de nuit, les mêmes services de la part de Sofia. Et peut-être même davantage même si cela m’avait coûté un surplus que je n’avais pas prévu.
Ainsi, la campagne toscane, le refrain lent du train qui court sur les rails, le soleil qui se cache derrière quelques moutons nuageux menaçants et le souvenir de la nuit de Sofia m’offraient un répit que j’accentuais encore par la fraîcheur de la vitre. Le manque de réseau téléphonique dans les trains déjà anciens du réseau ferroviaire italien me permettait également de profiter de quelques heures de quiétude intégrale. J’essayais désespérément de penser à autre chose que ce pourquoi j’étais dans ce train et la combinaison de tous les facteurs réussissait presque à m’offrir cela. Parfois, de manière régulière cependant, certaines images, certains détails revenaient hanter mes pensées et m’empêchaient brièvement de profiter intégralement de ce trop rare moment dans mon existence.