Rien n’était véritablement prévu ni décidé. Il s’agissait d’une errance mais j’en connaissais déjà l’issue. J’imaginais mon pas alerte et rapide mais en réalité, il n’était que heurté et lourd. Chercher une inconnue à travers les rues noyées sous la pluie et les montées des eaux régulières ressemblait à une mission divine. C’est pourtant ce à quoi je m’astreignais avec même le rêve absurde et utopique de tomber amoureux, d’être à nouveau en amour. Frappé.
En sortant j’avais cru que la route venait de la droite et je cherchais donc le retour en partant sur la gauche. J’essayais d’être logique dans ma quête mais être logique quand on ne sait même pas où l’on est ressemble juste à une prière jetée au vent et sans contenu idéologique véridique. On tourne dans un sens, croyant qu’il est pertinent et puis soudain, on se rend compte qu’on tourne. J’avais réussi à récupérer une adresse. Enfin un lieu. Enfin, un nom de lieu qui devait me permettre de trouver mon bonheur, ou au moins une piste me menant au bonheur, ou plutôt même un lieu qui pourrait devenir une échappatoire valable à mes turpitudes.
Pour y échapper, il m’aurait fallu les connaitre, les identifier, les maîtriser mais pour autant, je savais seulement que j’avais ce besoin et qu’il me fallait l’ assouvir. Quel qu’en fut le prix, quoi qu’il en coûte. Je savais vaguement ce que je cherchais et que l’objet de ma quête se trouverait peut être là. Ce là qui semblait avoir un sens pour les autochtones mais qui, pour moi, ne ressemblait à rien. Il n’était nulle part. Il n’allait nulle part. Il n’évoquait rien de concret pour moi. Autant Pigalle ou Strasbourg Saint Denis ou le bois de Boulogne auraient eu une résonance en moi autant là, il n’y avait rien. Et pourtant il me fallait le trouver.
L’image entêtante de ce matin ne me quittait pas et je me devais de trouver une solution pour ne pas perdre définitivement le peu de tête que cette histoire me prenait déjà. Pourquoi ce papillon continuait-il à tourner dans ma tête ? Quel était le sens de ce vol ? Pourquoi cet animal qui aurait dû rester insignifiant devenait une priorité et me poussait même à certaines extrémités ? Pousser à courir dans les rues de cette ville inconnue, et courir aussi vite que ma démarche alcoolisée me le permettait, c’est-à-dire en marchant et en ayant l’impression palpable que chaque pas n’était en fait qu’un recul. Plus j’avançais et plus j’avais cette sensation étrange, inqualifiable, désagréable de reculer. Mon corps se projetait à une vitesse limitée vers l’avant mais mon esprit, lui, savait déjà que l’issue choisie n’était pas la bonne, qu’elle ne répondrait en rien à mes interrogations et que même, plutôt, elle m’enfoncerait vers une chute annoncée. Je tombais mais je m’y précipitais. Je tombais et je ne voulais pas vraiment me retenir à une branche. Pour l’instant, je trouvais cette chute douce, sucrée, attirante. Elle m’offrait ponctuellement ce qui m’a toujours manqué. Ce qui m’a toujours échappé à force de ne jamais être à ma place. Se sentir vivant et presque à sa place quelque part. Presque.
En réalité, je trouvais une douceur, une volupté dans cette errance. Je savais ce que je cherchais, je savais plus ou moins où, je ne savais pas comment y aller mais le fait de se perdre, en sachant où l’on va, avait un côté magique. Le seul enjeu véritable de cette quête était de me libérer d’une frustration et d’une image. Au final, rien de grave, rien d’urgent mais suffisamment prenant pour pousser à des extrémités sauvages, à des recoins d’animalité enfouis, à des comportements bestiaux refoulés.