1.

Rien n’était véritablement prévu ni décidé. Il s’agissait d’une errance mais j’en connaissais déjà l’issue. J’imaginais mon pas alerte et rapide mais en réalité, il n’était que heurté et lourd. Chercher une inconnue à travers les rues noyées sous la pluie et les montées des eaux régulières ressemblait à une mission divine. C’est pourtant ce à quoi je m’astreignais avec même le rêve absurde et utopique de tomber amoureux, d’être à nouveau en amour. Frappé.

En sortant j’avais cru que la route venait de la droite et je cherchais donc le retour en partant sur la gauche. J’essayais d’être logique dans ma quête mais être logique quand on ne sait même pas où l’on est ressemble juste à une prière jetée au vent et sans contenu idéologique véridique. On tourne dans un sens, croyant qu’il est pertinent et puis soudain, on se rend compte qu’on tourne. J’avais réussi à récupérer une adresse. Enfin un lieu. Enfin, un nom de lieu qui devait me permettre de trouver mon bonheur, ou au moins une piste me menant au bonheur, ou plutôt même un lieu qui pourrait devenir une échappatoire valable à mes turpitudes.

Pour y échapper, il m’aurait fallu les connaitre, les identifier, les maîtriser mais pour autant, je savais seulement que j’avais ce besoin et qu’il me fallait l’ assouvir. Quel qu’en fut le prix, quoi qu’il en coûte. Je savais vaguement ce que je cherchais et que l’objet de ma quête se trouverait peut être là. Ce là qui semblait avoir un sens pour les autochtones mais qui, pour moi, ne ressemblait à rien. Il n’était nulle part. Il n’allait nulle part. Il n’évoquait rien de concret pour moi. Autant Pigalle ou Strasbourg Saint Denis ou le bois de Boulogne auraient eu une résonance en moi autant là, il n’y avait rien. Et pourtant il me fallait le trouver.

L’image entêtante de ce matin ne me quittait pas et je me devais de trouver une solution pour ne pas perdre définitivement le peu de tête que cette histoire me prenait déjà. Pourquoi ce papillon continuait-il à tourner dans ma tête ? Quel était le sens de ce vol ? Pourquoi cet animal qui aurait dû rester insignifiant devenait une priorité et me poussait même à certaines extrémités ? Pousser à courir dans les rues de cette ville inconnue, et courir aussi vite que ma démarche alcoolisée me le permettait, c’est-à-dire en marchant et en ayant l’impression palpable que chaque pas n’était en fait qu’un recul. Plus j’avançais et plus j’avais cette sensation étrange, inqualifiable, désagréable de reculer. Mon corps se projetait à une vitesse limitée vers l’avant mais mon esprit, lui, savait déjà que l’issue choisie n’était pas la bonne, qu’elle ne répondrait en rien à mes interrogations et que même, plutôt, elle m’enfoncerait vers une chute annoncée. Je tombais mais je m’y précipitais. Je tombais et je ne voulais pas vraiment me retenir à une branche. Pour l’instant, je trouvais cette chute douce, sucrée, attirante. Elle m’offrait ponctuellement ce qui m’a toujours manqué. Ce qui m’a toujours échappé à force de ne jamais être à ma place. Se sentir vivant et presque à sa place quelque part. Presque.

En réalité, je trouvais une douceur, une volupté dans cette errance. Je savais ce que je cherchais, je savais plus ou moins où, je ne savais pas comment y aller mais le fait de se perdre, en sachant où l’on va, avait un côté magique. Le seul enjeu véritable de cette quête était de me libérer d’une frustration et d’une image. Au final, rien de grave, rien d’urgent mais suffisamment prenant pour pousser à des extrémités sauvages, à des recoins d’animalité enfouis, à des comportements bestiaux refoulés.

En réalité tout cela n’est pas grave…

En réalité tout cela n’est pas grave. Tout cela ne compte pas. Cela ne change rien. Cela ne vaut rien. On peut se dire que c’est chaque fois de plus en plus difficile mais si le monde autour ne s’évertuait pas à nous le rappeler, il n’est pas impossible d’imaginer que, au final, et à force, l’oubli l’aurait emporté. Ce n’est pas qu’il s’agisse de quelque chose de néfaste ou de désagréable et même, en réalité, plutôt au contraire, c’est juste que cela n’a vraiment que peu d’importance. Au mieux cela signale à certains l’existence du sujet et ça fait toujours plaisir de sentir que, quelque part, le néant n’est pas toujours vainqueur.

Le temps défile et alors ? A moins d’avoir décidé de ne pas mourir, que cela était interdit par la convention de Genève (ou d’ailleurs, osef), il s’agit d’un lot commun et partagé de manière égale. Au moins pour une fois l’égalité est respectée. C’est déjà ça.

Evidemment, les différentes attentions reçues font toujours plaisir. Il ne s’agit pas de demeurer  un ours coincé dans sa forêt. Evidemment, savoir qu’il y a des lieux et des moments où tu es le centre d’une pensée fugace et inutile reste toujours satisfaisant et même motivant parfois. Evidemment, je suis content d’exister pour certains. Plusieurs. Evidemment.

Surtout ne pas dire qu’on s’en fout, surtout ne pas dire qu’on s’en fout, surtout ne pas dire qu’on s’en fout…

Pour que les choses soient claires, il ne s’agit en réalité qu’une bafouille maladroite visant à poser des remerciements. Alors évidemment les remerciements, ça n’est pas un truc aisé, tout comme les demandes, surtout lorsqu’on est ours et reclus dans sa grotte. Cependant, personne n’espérait davantage ou plus ou mieux. Un petit quart d’heure sur un coin de table pour signaler que les marques furent reçues et appréciées mais qu’à aucun moment il n’était prévu que la journée d’après se déroule à la conception d’un remerciement.

Enfin, j’ai pris un an de plus…

Le changement c’est maintenant?

Ce goût permanent dans la bouche, ce mal être continuel qui réussit soudain à s’estomper, à être digéré, ingéré et recraché. Et qui revient parce que son souvenir est ravivé régulièrement par les forces extérieures qui te renvoient à ce que chacun d’entre nous ne veut plus être. Se battre encore et encore. Se lancer tout ce qui est possible vers les étoiles pour être autre chose, autrement, mais tout rappelle et ramène au même statut. Être ce qui ne changera pas parce que le monde ne veut pas que ça change. Alors, il reste les lendemains qui chantent, le loto ou l’héritage, pour changer… et encore l’héritage ces derniers temps, c’est aléatoire.

Le changement ne passe que par soi-même. Savoureuse litanie qui vise à dédouaner le reste du monde de toutes les responsabilités. Ce n’est pas la faute de la pluie si les champs sont mouillés. Ce sont juste les regards portés sur le monde qui sont trop sombres. Regarder le soleil derrière les nuages et ne plus sentir l’onde fraîche ruisseler sur les cheveux. Voir alors les licornes s’ébrouer au loin et envoyer des baisers de guimauve à leur adresse. Et tout ira bien.

Comme dans une relation, il faut changer. L’amour ressenti aux premiers regards, aux premiers échanges n’est plus. Il se transforme, il se modifie, il se modèle mais surtout il patine avec le temps. Ce n’est plus le premier homme qui est aimé, ce n’est plus la première femme qui est désirée, c’est ce que le monde attend qui est souhaité. Devenir ce que l’autre exige, être ce que la société impose. Ne plus être soi mais être l’image de la perfection supposée. Pourtant, ce sont ces défauts qui ont construit cette relation, ces manques qui ont bâti cette union mais ce sont eux qui doivent disparaître désormais parce qu’ils ne sont plus dans l’ère, dans l’air, dans l’aire du temps.

Changer pourquoi pas… Mais si cela consiste à se conformer à un monde auquel l’appartenance est perpétuellement remise en cause et en doute; à un monde où la place que chacun pourrait revendiquer n’est que celle que la globalité accorde, alors autant rester soi et tant pis si les vents nous mènent sur d’autres rivages moins salubres. Prétendre que tout ira mieux, c’est croire en une utopie qui ne propose plus rien, si ce n’est le statu quo. Le changement proposé se résume à reproduire le même schéma.

E cambiano i venti (et tournent les vents)

Et tournent les vents…

Même si les averses se succèdent et que les orages rompent le silence, se poursuit l’émotion d’une vie sans nuages en attendant les éclaircies. Noyés dans les nappes de brouillard d’un autre temps, il ne reste que des après dans les souvenirs et les intentions. Les résolutions sont prises mais sont oubliées avant même d’être nées. Les heures passent, les minutes meurent et tournent les vents.

Encore voir le soleil percer les nuages et s’étirer sous les désirs amoindris des équipées sauvages, afin de continuer le chemin vers des rivages plus doux et plus accueillants. Sentir monter en soi les mêmes raisons qui font que chaque aurore est reçue comme étant boréale et voir les aiguilles des montres s’effondrer dans un océan de journées perdue. Les jours passent, les heures meurent et tournent les vents.

Autant de moments gâchés à espérer en vain la fin des temps et le début des utopies. Parce que les temps sont heureux, parce que les nuits sont douces, parce que les songes sont joyeux et les jours emplis de félicité. Parce que rien n’est plus comme la création et que les mouvements des plaques construisent un autre enfer. Les semaines passent, les jours meurent et tournent les vents.

Encore croire que le meilleur reste à venir puisque le passé ne tue pas ses proies et n’achève pas les blessés, les meurtris, les scarifiés, les oubliés des révolutions passées autour d’astres bien trop luisants pour être crédibles et honnêtes. Être dupés, trompés, bafoués mais se redresser et continuer le chemin vers l’absolu illusoire que les rêves façonnent dans l’ignorance consciente de nos âmes perverties. Les mois passent, les semaines meurent et tournent les vents.

Toujours se plonger dans des illusions qui n’appartiennent qu’à des îles perdues au milieu des océans de projets détruits et repoussés parce que la solitude sied mal avec le changement universel. Ne pas faire des îles, des îlots déserts et perdus dans un abîme sans fond et sans vérité. Et recommencer l’échafaudage de ponts entre les mers et les océans vers une union différente.  Les années passent, les mois meurent et tournent les vents.

Alors vient le moment des condamnations. La saison des jugements et des représailles. L’instant où il faut tout détruire pour pouvoir refaire. Brûler pour renaître plus fort et plus vigoureux. Tout saccager, tout ravager, tout brûler, tout détruire, tout inonder pour enfin pouvoir laisser la graine d’espoir germer et croître et donner les fruits du bonheur.Les siècles passent, les années meurent et tournent les vents.

Ne jamais tenter l’impossible sans se préparer à la réussite. Faire de ce monde ou d’un autre, une utopie valide et valable en marchant le nez dans les étoiles, la tête dans les nuages, les mains lancées en balancier vers l’horizon comme pour saisir cette ligne imaginaire et les recoins des points cardinaux disparus. Les millénaires passent, les siècles meurent et tournent les vents.

Peut être voir dans le sourire de l’enfant qui s’évade de soi, au loin et vite, les derniers souvenirs d’un passé détruit et dénaturé par trop d’aléas nauséabonds et comprendre enfin que ce retour à la nature, à l’enfance de l’âme n’est que le chemin vers la déraison pleine et aboutie des illusions perdues, des songes inabouties mais des espoirs parfois déçus mais toujours vivaces et vivants et brûlants.  Les vies passent, les millénaires meurent et tournent les vents.

Toutes ces moments qui offrent des illusions, désillusions et réminiscences impétueuses et immorales mais qui font que l’être représenté est un tout, une entité qui chavire au moindre coup de cœur mais qui reste fort à la moindre tempête, qui tient debout face aux vents contraires parce que les vents sont toujours contraires quand l’horizon leur tourne le dos. Les morts passent, les vies meurent et tournent les vents.

Revue de crèche 5 – La tempête l’emportera

Dans un premier temps je reconnais volontiers que j’en avais rien à foutre, que cela n’avait aucun intérêt et même, au contraire, qu’il s’agissait d’une corvée, ne serait-ce que d’y penser. Et puis, de tous côtés, les messages pullulent et fleurissent. Alors, parce que la curiosité est un vilain défaut, et que, malgré tout, on se tient faussement au courant des nouvelles vieilles du monde, la vindicte populaire arrive aux oreilles qui furent occupées à d’autres activités pendant longtemps. Et des principes que personne ne maitrise vraiment, ni moi, ni un autre, apparaissent et deviennent des vérités intangibles. L’état de droit, la démocratie, l’oligarchie et la séparation des pouvoirs… Le remplissage de mon frigo ou l’accélération de particules sales… Alors chacun se doit désormais d’avoir un avis sur tout et à la limite cela ne change pas grand-chose. Là où les choses deviennent inutiles, c’est que cet avis devient accessible, audible, diffusé. Donc la justice, le droit, toussa toussa, c’est très très aléatoire. Et surtout ça ne concerne pas les autres. Chacun réclame le droit à la justice, mais la sienne et seulement selon ses envies. Pourquoi pas ? Je considère que le crime le plus abject et qui mérite le rétablissement de la peine de mort et l’humiliation éternelle est le meurtre d’une femme. Pourquoi pas… donc toute personne condamnée pour ce crime ne mérite que la torture éternelle, enfin jusqu’à la mort en fait. Rétablissement de la peine de mort à géométrie variable. Si jamais vous êtes élu, vous pouvez mettre à feu et à sang la moitié du monde civilisé, on continuera de vous dérouler le tapis rouge et les sourires. En fait, il semble préférable de tuer des syriens, des yéménites ou des libyens, que de tuer une femme un peu connue. Pourquoi pas… il existe des célébrités qui officiellement ont du sang plein les mains, qui officiellement ont des tristesses, des malheurs, des douleurs sur la conscience, mais ça, ça passe. Ce qui compte c’est que tu ne fasses pas de mal à une personne que les médias ont élevée au rang d’icône. Par contre tu peux vendre des armes de destruction massive, ça tu as le droit. Le droit de cogner une femme est désormais accordé et autorisé mais pas si la victime est célèbre. C’est là que se pose le principe de société. Désormais, pour chacun, la société est à son image et non plus à l’image d’un groupe collectif, d’une création et d’une visée commune. On peut considérer que le monde ne doit plus correspondre qu’à ses propres vérités. La justice virtuelle populaire est plus forte que la justice collective, que les lois et que le bon sens… Plus encore que le bon sens, l’idée même d’humanité. Alors clairement, le système collectif tel qu’il existait n’existe plus et pourtant, il reste en place. Il est mauvais, limité, refusé par tous mais il persiste. Il n’y a aucune logique intellectuelle aux événements actuels et ce n’est pas le détail fictionnel des aventures lituaniennes qui changera quoique ce soit en réalité. Il s’agit d’un exutoire construit et façonné pour faire oublier l’essentiel. Tout le monde le sait. On a notre bouc émissaire, on a notre victime. Crachons notre haine. Ce n’est pas la haine sur cet individu parce que lui on s’en fout ; c’est juste la frustration de ne pouvoir exprimer réellement notre haine d’éléments et de concepts plus forts et plus violents que la mort d’une femme. Tous sont en souffrance et tous sont impuissants face aux raisons de cette impuissance alors exprimons notre courroux sur l’homme pressé plutôt que de s’en prendre aux véritables maux. Crachons sur les joueurs de foot et négligeons les causes de notre désespoir. Offrons aux Mallausène de business la possibilité d’une vie dorée sous les huées et les vindictes populaires pendant que les vrais puissants creusent les terres africaines pour nous offrir des téléphones toujours plus puissants et toujours plus chers et des fringues de plastiques façonnées par des doigts juvéniles mais déjà tellement habiles. Quelle importance puisque ces mains qui creusent sont noires, ces doigts qui cousent sont jaunes et que cette femme était blanche, célèbre et riche. Les animaux restent malades de la peste mais la peste devient contagieuse parce que le courage pour seul ennemi ne suffit plus à rétablir un équilibre, qui n’est même plus précaire mais qui en réalité n’existe pas. La révolte passe par les canapés et les cris d’orfraie dans les torchons médiatiques parce que personne ne peut se permettre réellement d’aller au bout de son idée et de ses vœux. Mieux vaut cracher sur celui qui est à terre, parce que le faire sur celui qui est puissant nous renverrait trop vite la double peine. Du monde comme il tourne et comme il va. Du piédestal à la chute, tu restes unique et sur le devant de la scène, que certains veulent t’interdire à défaut de condamner les véritables fossoyeurs, ou du moins les véritables serial killers que personne ne voit ni ne condamne parce qu’ils sont trop puissants pour être touchés. D’une compagnie pétrolière à un président vendeur d’armes, d’un premier ministre meurtrier à une marque vestimentaire esclavagiste, le véritable ennemi désormais, c’est celui qui tue par amour, par faiblesse, sous la drogue et l’alcool. Celui qui commet l’unique irréparable plutôt que le multiple indicible. Plus c’est gros… Soufflent les vents, même les averses ne nettoieront pas tes péchés.

Un vuoto dietro il caos (Un vide derrière le chaos)

 

Un parfum posé sur le creux de l’épaule qui réveille les souvenirs. Les effluves qui envahissent les lieux et regards. Cette magie qui fait que les jours sont à chaque fois une renaissance, un renouveau, un nouveau monde à conquérir et que tout s’inscrit à l’intérieur… Le vrai et le faux, le noir et le blanc, le silence et la fureur, le bruit et le calme, la tempête et le chant des oiseaux rieurs.

L’envie de séduire l’autre, de lui parler, de la regarder mais se l’interdire parce que les esprits chagrins et le temps assassin réduisent l’envie et les possibilités de les exprimer même si elles demeurent pures et honnêtes. Parce que la condamnation est éternelle et que la loi du talion devient l’idéal inégalable d’un monde qui s’effondre. La loi du plus fort devant la loi du plus juste. Le monde du plus cruel devant le monde du plus beau.

Enfin le soleil donne des preuves de son existence et les sourires refleurissent sur les visages des enfants. Puisqu’il faut sombrer dans un positivisme et un optimisme béat pour faire croire que tout va bien alors un mouvement de pivot, une rotation sur soi pour tout voir, tout contempler, tout admirer, rappelle que tout est vain et que le bonheur n’existe que parce que l’illusion existe. Croire permet l’accès à un bonheur mais le tout consiste à savoir en quoi croire.

C’est au travers des sourires et des regards illuminés des amants que se cache le peu de douceurs qui accompagnent les journées embrumées. C’est derrière les larmes des enfants que se jouent les grands moments de révolte de ces mondes et les impasses philosophiques que les mannequins en plan américain ou serré s’évertuent à mettre au-devant des scènes désarticulées des théâtres en ruine. Et c’est dans les espérances vaines et oubliées des amphithéâtres déserts que se construisent les solutions d’un autre jour pendant qu’il sera trop tard et que tout sera fini puisque l’heure des embruns sera déjà morte d’avoir attendu le choc des cloches qui sonnent le glas. C’est parce que le bonheur n’est pas contagieux ni soluble dans la liqueur d’amandes que les parts sont inégalement redistribuées et que le capital natal n’est pas celui de l’arbre voisin. C’est parce que la certitude est brulée vive sous les étincelles et les lueurs d’espoir que l’attente est devenue un modèle et un style de vie, une certitude et un doute, une sécheresse et l’inondation finale. C’est parce qu’aucune certitude ne nait des jours qui passent que se poursuit cette quête vers un idéal absolu, et que comme il n’est pas atteint, il continue de remplir sa mission d’espoir et reste un songe au milieu des rêves. Une énigme au milieu des énigmes. Un vide derrière le chaos.

Dalle tenebre alla luce (De l’ombre à la lumière)

Ce n’est plus tant la monotonie qui construit les images mentales des jours à venir. Ce n’est plus tant la sur activité à laquelle s’astreignent les anges depuis trop longtemps. Ce n’est plus tant la nuit qui tombe sur l’océan à la vitesse des larmes sur les joues ou des averses sur les herbes brûlées. Ce n’est plus tant les souvenirs qui viennent frapper et blesser la mémoire défaillante et fragile du lendemain qui se désespère. Ce n’est plus tant l’envie de tant de choses et la possibilité de si peu. Ce n’est plus tant le regard perdu des âmes en peine et des furies tournoyantes au dessus des tombes ouvertes. C’est juste la vie qui continue son chemin impassible.

Chaque pas qui mène vers un autre horizon, une autre vie, une autre envie, est un pas de plus pour quitter tout ce qui retient l’esprit sur des faux semblants et des routes enneigées et impraticables. Dormir des journées entières afin de passer les nuits à chercher le chemin vers l’inconnu ou plutôt vers cette félicité programmée mais perdue à cause des contraintes et des prisons qui ne sont pas celles que la destinée construit. Subir puisque la révolte se veut mercantile et programmée. Qu’elle n’est qu’une réalité dans un système déjà conçu et clos.

Ce n’est plus tant les jours qui bousculent les nuits pour amener une paix relative et inconnue. Ce n’est plus tant la neige qui nargue le soleil en mourant à petits feux. Ce n’est plus tant les heures qui regardent s’écouler les minutes d’un air narquois et moqueur. Ce n’est plus tant les montagnes qui scrutent les champs de jasmin fraîchement coupé. C’est juste le temps qui passe et qui rappelle à l’envi que la seule chose qui ne possède pas d’ombre, c’est la lumière.

Stasera

Comme la beauté reste encore une création possible et que Trevi est sous la neige, il reste permis de croire que tout n’est pas mort et que le beau reste le beau. Le rêve devient un idéal et la possibilité d’y croire encore et à nouveau, rappelle ces sentiments enfouis qui parfois renaissent au hasard d’une rencontre, d’un hasard qui n’existe pas, d’une chute parce que c’est toujours une chute de « retomber ». Et cette nuit qui n’en finit pas au milieu des flocons, parce que c’est la nuit. La vraie, l’intense, la nocturne nuit. Derrière les ombres des souvenirs, l’errance au milieu de l’invisible, de l’éteint, de tous ces endroits vides emplis de l’absence des pas sur les pavés saillants. Cette nuit neigeuse et profonde au milieu de laquelle l’errance devient paix, devient sérénité. Le silence au loin qui résonne à travers les ruelles et les faibles points de lumière qui n’éclairent plus. Cette légère ivresse qui accompagne chacune des inspirations, qui fait oublier la présence de tous les fantômes que drainent la vie. Le noir se confond avec le rouge. La lumière meurt dans les ombres, et les bruits semblent de toute façon plus sourds que le jour. Comme si la nuit devenait une couverture opaque sur les desseins les plus inavouables et rendaient chaque action silencieuse, muette, morte. Une renaissance quotidienne au milieu des furies des enfants, des calvaires des parents, des tristesses et des larmes des autres ou des mêmes, et ainsi, la reprise et le retour perlé de ce nettoyage des âmes perpétuel et lancinant qui vient encore rappeler que derrière, il n’y a plus que l’horizon.

Cet horizon que plus personne ne voit ni ne comprend. Que plus personne ne ressent et qui gifle et se brise sur les joues des enfants. Des blessures, des crevasses, des sanglots longs et des meurtrissures éternelles. Et le silence. Et la nuit. Et la neige. Et le recommencement encore et encore, éternel et inlassable. Alors vint le temps des illusions, des rêves et des mesquineries. De cette envie indicible d’être un autre ailleurs autrement, de ne pas se fondre dans une multitude qui ne ressemble à rien, qui n’appartient à aucun des songes enfantins nés dans les bras du faux sommeil réparateur. D’être juste là et d’y rester et se relever et continuer et repartir. Ailleurs, autrement, encore, toujours et plus encore et plus avant.