Depuis quelques mois, et de plus en plus depuis un peu plus d’un trimestre, la liberté de parole semble menacée ou au moins cerclée aux entournures par divers principes assez confus et diverses règles et causes assez diffuses. On avait déjà constaté dans l’humour l’abandon de certaines possibilités et de certains sujets. Et je ne parle pas ici de Dieudonné qui a poussé la provocation à l’extrême mais de n’importe quel humoriste qui s’autocensure sur divers sujets qui apparaissent désormais tabous ou pour le moins sensibles. Cette auto censure semble gagner, petit à petit, la plupart des sphères de la société et il n’est plus trop autorisé de s’opposer de manière factuelle et visible à certains phénomènes. J’ai déjà parlé ici de l’impossibilité qui était faite désormais, de critiquer l’islam et sa pratique sur le territoire français. Il est en de même pour le judaïsme. Critiquer l’un ou/et l’autre ne signifie pourtant pas que l’on s’oppose à ces pratiques et il est plutôt sain, normalement, de pouvoir montrer une opposition ou pour le moins, une réflexion. Apparemment non. Le mot critique n’est plus vu que comme négatif et, à aucun moment, comme une possible remise en cause ou comme un point de départ de réflexion. Je n’ai rien personnellement contre les croyants, ce sont certaines pratiques qui ne sont plus confinées à la sphère privée qui me posent problème.
Oui un premier ministre qui pose avec une kippa sur la tête, cela me dérange et oui, une femme musulmane voilée dans la rue, cela me dérange aussi. Mais je peux admettre que la religion, parce qu’elle traite de thèmes qui sont propres à l’intime de chacun d’entre nous qu’on y croit ou pas, soit difficile à aborder au travers du prisme de l’humour. Je trouve ça particulièrement dommage mais je peux encore le comprendre, tout comme les blagues sexistes ou racistes ou homophobes sont de plus en plus difficiles à assumer. Je peux le comprendre mais je trouve cela dommage.
Désormais l’humour se doit d’être politiquement correct à tous les niveaux. Je revendique, dès lors, mon côté beauf, en reconnaissant que certains traits d’humour homophobes ou sexistes ou racistes m’ont fait et me font rire. Ce n’est pas parce que quelque chose est drôle qu’il est pensé, sincère, éprouvé, ressenti et/ou vécu. La cage aux folles, ça reste drôle, tout comme Clavier dans le Père Noël et Coluche avec son crs arabe était drôle, tout comme Desproges avec son ouverture de spectacle au Grévin devenue culte, ou encore Dupontel et son approche de la femme, dans son spectacle. Ce qu’il nous manque le plus, c’est la légèreté ou l’innocence de notre enfance. Parce que l’autre est une femme, ou noir, ou gay, ou musulman, le rire devient interdit ou alors source de précautions oratoires qui deviennent véritablement lourdes pour un abruti comme moi qui se plait à rire de tout et d’abord de lui-même.
Après le genre, la religion, la couleur, il apparaît un nouveau tabou concernant l’humour: le fanatisme politique. Il devient de plus en plus impossible de se moquer des politiques, alors même qu’ils se moquent effrontément de nous. Cette tendance traverse tous les partis du spectre politique. Les paroles sur notre président (main sur le cœur toussa toussa) doivent être particulièrement neutres sous peine de… de quoi? de la même façon, émettre un doute sur la probité de la droite, même à travers l’humour, des emplois de la femme d’Ulysse durant l’exode ou sur les compétences économiques de l’ex petite amie de Philippot, qu’il ne faut absolument pas rapprocher lui-même de la gay pride, serait perçu comme une critique, une attaque, une insulte, une agression, une tentative de meurtre passible du gibet et d’une torture pire encore que le travail. De la même façon, considérer que le leader de la gauche serait enclin parfois à sombrer dans un populisme fatigant ou que l’idole upériste aurait une fâcheuse tendance à comploter tout ce qui bouge et même ce qui ne bouge pas, serait instantanément perçu comme une atteinte aux plus hautes strates de la création divine, dieu, que tu as interdiction stricte et définitive de railler, je le rappelle.
Forcément, le clown devient triste et non plus à cause du monde qui l’entoure et qu’il voit avec ses yeux d’enfant, mais bien par la succession d’interdits qu’il doit affronter, pour envisager construire un sourire sur nos visages fatigués. Tous les sujets deviennent interdits. Toute remarque peut entraîner des commentaires particulièrement acerbes et des représailles dangereuses. Si le rire devient interdit, ou alors simplement sur la manière de récurer les chiottes ou de préparer les raviolis en boîte, que va t-il rester de cette civilisation? Ni femmes, ni hommes, ni noirs, ni jaunes, ni blancs, ni riches, ni pauvres, ni juifs, ni musulmans, ni catholiques, ni hétéros, ni gays, ni de droite, ni de gauche et encore moins des extrêmes… il nous reste la taille des appareils reproducteurs éventuellement et encore sans tomber dans le travers du handicap donc il nous reste… le foot! La valeur refuge c’est le foot, la bière, la pizza. la vie, la vraie.
Ouais c’est tellement vrai, on se fait souvent la réflexion par chez moi, surtout quand on voit les anciens à la télé, genre Jean Yanne, Desproges comme tu dis, qui n’avaient pas la langue dans leur poche, qui vannaient caustique, et même Bedos avec son sketch « Marrakech », qui ne passerait plus car le deuxième degré ne passe plus non plus, bien sûr.
J’aime qu’on soit d’accord avec moi lol
Je pense que le tribunal des flagrants délires serait totalement impossible à faire aujourd’hui…. et c’est d’une tristesse infinie… les humoristes actuels ne sont plus drôles à force de faire du politiquement correct…
1984. Pas si sûr. Une personne qui m’est chère est convaincue que l’approche d’Aldous Huxley est bien plus pertinente pour décrire notre époque que celle de George Orwell. Et, il se pourrait bien qu’elle n’ait pas tout à fait tort. ( … même si mon orgueil mal placé m’interdit d’admettre qu’elle pourrait bien avoir complètement raison). Toujours est-il que l’époque ayant porté haut plus au les joies de l’infotainment est bien la notre (jusqu’à importer dans notre langue si précieuse un mot aussi laid … ). L’infotainment permet de rire de tout, même des sujets les plus sérieux. Et, effectivement, tout y passe, on rit d’un bon mot politiquement incorrect et on rit de la polémique qu’il génère, on rit aussi de la polémique que la polémique génère d’ailleurs; on voit bien qu’on ne manque pas de rire. Le problème n’est pas de savoir si on peut rire de tout – dans une société qui glorifie la poilade comme la nôtre, la question ne se pose même pas – le problème, c’est que … rire de tout, c’est pas drôle, en fait. C’est même la chose la plus triste du monde. Tiens, si on me demandait quel personnage de fiction représenterait le mieux la société dans laquelle on vit – je ne vois pas quel énergumène pourrait me poser une telle question d’ailleurs … à part moi, je veux dire – je répondrais certainement ce curieux personnage de la mythologie batmanesque qu’est le Joker. Un grand adulte peinturluré couvrant le silence de son existence d’un rire gras. J’en ai plein les bottes du rire, je le troquerai volontiers contre les quelques miettes de sens qu’il n’aura pas dévorées.
En fait j’ai utilisé Orwell parce qu’il est particulièrement à la mode en ce moment et beaucoup plus reconnu que Huxley même si je suis d’accord pour le reconnaitre et surtout les portes de la perception davantage que le meilleur des mondes en plus (enfin ça c’est avis perso). En fait ce n’est pas le rire que nous avons c’est la possibilité de relativiser ou tout du moins de se foutre totalement de tout… perso je ne vois aucun humour nulle part je ne vois qu’indifférence, distance et éventuellement si l’on veut parler de rire alors un rire jaune….
En ce qui concerne le fait de « rire », tout court, dans le sens, « exprimer un sentiment de gaieté en contractant certains muscles de ci de là », eh bien, effectivement, on ne le fait pas tous les quatres matins d’où la sensation d’indifférence, de distance, c’est vrai. Par contre, le « rire de » me semble omniprésent car on se fout de tout, on rit de tout. Symptome d’une société qui a placé la liberté au-dessus de tout autre valeur et à appliquer ce concept si précieux à tous les domaines. Est-ce grave ? Beh euh, ce sont les citoyens qui décident après tout. S’ils veulent que leurs patrons soient libres de les jeter comme des vieilles chaussettes, ça les regarde; s’ils veulent que des entreprises agro-alimentaires soient libres de les empoisonner, ça les regarde; s’ils veulent que les proviseurs d’établissements scolaires soient libres de choisir la crème de la crème des professeurs pour que la crème de la crème des enfants de riches soient libres d’obtenir la crème de la crème de l’enseignement, ça les regarde aussi. Moi, après tout, la liberté – mise à part la liberté d’expression – je m’en tamponne le coquillard. Ce que je veux, c’est, pour tout le monde, la santé, l’éducation, un logements, de la nourriture saine, une société apaisée (c’est mon côté miss France). Bref, tout ça pour dire qu’une société fondée sur la liberté entraine la possibilité de tout relativiser et un « rire de » omniprésent. Car le rire permet de changer de perspective, de relativiser. Le problème est que ce rire jaune des puissants accompagné la plupart du temps du fameux « c’est de bonne guerre » car, vous comprenez, tout le monde est libre, il faut être compétitif. Du coup, mettons du nitrite de sodium dans la charcuterie, libéralisons l’éducation, baissons les impôts des plus riches, c’est bonne guerre. Contre ce discours, il me semble que le « rire de » est impuissant car face à des personnes qui relativisent tout pour tout faire passer, relativiser d’avantage, c’est comme pisser dans un violon. Le « rire » tout court, ce sentiment positif absolu, permet effectivement de résister si on est pas psychologiquement sur les rotules à cause des actes de ces libéraux sans vergogne. Sinon, le sérieux me semble la meilleure façon de combattre. Rire, c’est bien mais faire de la politique sérieusement parce qu’il y a quand même des vies en jeu, c’est mieux.