12.

Le plus pesant dans la vie solitaire, c’est la façon de gérer l’ennui. Les journées où tout est gris et où la balade obligatoire sur le bord de mer ne permet pas ce fameux changement d’idées. Se changer les idées comme s’il s’agissait d’une cartouche ou d’une application de téléphone.

Il n’y avait pas de hasard dans le fait de se retrouver à l’écart de tout et de tous. Le besoin, la nécessité, l’obligation de couper avec certains lieux, certaines personnes, certains souvenirs. Ne plus se laisser submerger par des émotions qui ne sont plus supportables. Il y avait le fait d’être envahi par des images funestes et qui construisait un monde insupportable qui me poussait à changer d’air pour me changer les idées et donc à changer de vie. J’avais réussi grâce à mes années dans la fonction publique, et surtout grâce à la donation de feu ma mère, à conserver la propriété du petit appartement familiale dans le XV ème arrondissement de la capitale. Ce n’était certes pas grand chose mais cela me permettait d’avoir un pied à terre professionnel, une sorte de local administratif. Le fait de disposer ad vitam aeternam de cette garçonnière m’offrait aussi une liberté psychologique non négligeable. J’avais pu sans me compromettre davantage démissionner et passer à autre chose. Les premiers temps, j’avais accepté tout et n’importe quoi. Sans doute, la peur du vide. Surtout, j’en avais profité pour me mettre à jour sur mes compétences quasi nulles en informatique. Je n’étais pas devenu un professionnel de la chose loin de là mais cette tache était, auparavant, dévolue aux experts et donc je n’étais pas concerné par sa maîtrise. Mes nouvelles occupations, elles, m’obligeaient à ne plus compter que sur moi-même. Et comme à chaque fois qu’il me fallait compter sur moi, j’étais proche du désastre. J’avais décidé de ne plus travailler que de manière informelle. Mes anciennes prérogatives et attributions m’avaient permis de me constituer un réseau de clients et d’adjuvants et les affaires que je traitais étaient suffisamment compromettantes pour qu’elles restent à la fois, tues et lucratives. Personne n’aime, par exemple, apprendre qu’il est trompé par l’autre mais quand, en plus, dans certaines sphères, cette humiliation s’accompagne d’une annonce publique, elle devient insurmontable et cette quête d’une virginité morale aléatoire pouvait coûter très cher. J’étais donc payé pour traiter des affaires personnelles nauséabondes et désagréables. Cette immersion dans les saloperies du monde faisait que, chaque jour, j’en apprenais davantage sur mes contemporains et cet apprentissage ne m’apportait qu’une seule conclusion ou constatation, il n’y avait rien à tirer de personne. Les parts d’ombre étaient, à chaque fois, de plus en plus sales, immondes, glauques.

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