Le problème avec le café, c’est clairement lorsqu’il est chaud. Autant quand il s’agit de le boire, c’est plutôt agréable. Autant lorsqu’il tombe sur le corps à moitié dénudé, la sensation est désagréable. Pourquoi les téléphones sonnent-ils quand on ne leur demande rien ? Allongé nonchalamment comme à mon habitude sur mon vieux canapé qui fut en cuir parait-il dans une vie passée j’avais l’habitude de poser mon mug de café sur ma poitrine afin de ne pas avoir à prendre la tasse en permanence. La fainéantise est un art qui parfois coûte cher. Le corps recouvert d’un liquide noirâtre de mauvaise qualité, odorant mais surtout brulant, je décrochais… enfin j’appuyais sur le bouton de mon portable. Le râle de ma voix dût surprendre mon interlocuteur parce que je découvrais soudain la dureté du silence téléphonique. Ce type de silence qui ne dure que quelques secondes mais qu’on a l’impression de voir durer éternellement. Une éternité éternelle.
Avec ma main droite, j’essayais d’évacuer le café sur ma poitrine et je ne faisais en réalité que l’étaler davantage sur mon tee shirt. Une sorte de ton sur ton du meilleur effet. Le fait que le silence se brise sur l’évocation de mon nom était particulièrement surprenante. En fait, j’avais depuis très longtemps perdu cette habitude d’être appelé par mon nom. Ce nom semblait même sortir de nulle part ou au mieux d’une recherche sur internet. Je savais que j’avais à faire à quelqu’un que je ne connaissais pas. Utiliser mon état civil était bien la marque d’une méconnaissance des usages de politesse élémentaire que j’avais établis avec le reste du monde. J’essayais malgré la brulure au huitième degré de conserver le peu de contenance dont j’étais capable au téléphone en jetant un ouais à peine sonore et quasiment inarticulé. J’avais beaucoup trop de mal à conserver la moindre attention sur le propos de cette voix féminine à l’autre bout du fil. Une voix comme j’en avais connue des dizaines dans mes diverses virées nocturnes. Une voix qui appelait un service ou plutôt un échange de bon procédé. La seule chose dont je me souvenais expressément était bien l’idée que le propos ne portait absolument pas sur un quelconque échange de fluides. Il s’agissait de boulot et d’un rendez-vous dans un lieu improbable à une heure encore plus improbable pour discuter des modalités d’un engagement. Je n’en avais même pas besoin de ce job mais pris dans l’urgence de la brulure je répondais machinalement oui à tout. Je devais donc me rendre à l’autre bout de Paris à 22 heures. L’autre bout de Paris étant pour moi la sortie de la rue du Commerce à l’angle de ma rue.
C’est uniquement sous les jets brulants de l’eau dégoulinant sur mon corps nu que je compris que j’avais accepté quelque chose à « l’insu de mon plein gré ». Le contenu de la mission m’était inconnu. Encore une femme que son mari délaisse et qui envisage l’adultère comme seule issue à l’ennui du couple. Je n’avais pas commencé que déjà cette mission m’ennuyait au plus haut point. Je n’avais pas envie en ce moment de filatures, de recherches tardives sur des sites pornos ou de rencontres médiocres. J’avais juste envie de calme, de matches de foot et de repos matin, midi et soir. Et de temps en temps, une bouteille et une pizza dans son carton.